jeudi 16 juin 2011

La révolution islandaise poursuit sa route


Flore Vasseur - Blogueuse associée | Mercredi 15 Juin 2011

Suite à la faillite qui a ébranlé l'Islande et son élite politique, 25 « conseillers » élus parmi la société civile planchent sur une nouvelle constitution collaborative. Flore Vasseur fait le portrait de l'une d'entre eux, Birgitta Jonsdottir, poète et ex porte-parole de WikiLeaks.



Le Ministre des affaires étrangères britannique, le patron de Goldman Sachs international, le vice-Ministre des affaires étrangères chinois, le patron de Publicis et une centaine d’autres ont probablement refait le monde la semaine dernière à la réunion du Bilderberg. Mais il y en a une qui n’est pas prête d’être sur le radar de ces illustres « bbs’ » (nom de code des participants au Bilderberg), tant elle est à l’antithèse de leurs valeurs. Et pourtant elle fait bouger son monde. Je veux vous parler aujourd’hui de la députée islandaise Birgitta Jonsdottir.

Son nom ne vous dit peut être rien et c’est normal car la jeune femme n’est visiblement pas là pour la gloire. Birgitta Jonsdottir est poète à ses heures, ex porte-parole de WikiLeaks, organisation avec laquelle elle a d’ailleurs pris ses distances il y a un moment (cela ne l’empêche pas d’être au cœur de l’enquête américaine visant à juger Julian Assange pour espionnage). Agée d’une quarantaine d’année, elle est représentative de cette génération de figures politiques spontanées, issue des mouvements de protestations populaires, la révolution silencieuse islandaise dans le cas présent. Chantre de la liberté d’expression (elle est à l’initiative du projet IMMI qui vise à faire de l’Islande un paradis – au sens de lieu protégé - pour les journalistes et « sonneurs d’alerte ») et du sursaut démocratique, elle est l’une des chevilles ouvrières de l’incroyable travail que l’Islande tente de mener sur elle-même.

Acculé à la faillite en 2008, sa population a fait assez vite le lien entre choix économiques désastreux et responsables politiques. Les banques ont été nationalisées, le gouvernement et le parlement renversés, quelques politiques traduits en justice et le peuple a été sollicité par referendum sur son avenir. Le tout aboutissant assez logiquement à la volonté d’un profond renouveau constitutionnel.

Depuis avril dernier, 25 « conseillers » élus (de manière assez chaotique) sont chargés de diriger l’écriture de la nouvelle constitution du pays. Physicien, directeur de théâtre, pasteur, professeur d’économie, journaliste, avocat, étudiant, ils sont issus de la société civile. Le processus se veut collaboratif. Les projets de clause sont publiés sur le site du gouvernement chaque semaine. Les internautes peuvent directement réagir sur le forum dédié et/ou sur la page Facebook du « conseil » lequel partage ses idées sur Twitter, poste des interviews sur une chaine Youtube ou des photos des séances de travail sur Flickr.

Chacune des réunions est retransmise en directe et ouverte au public. On bataille sur les droits et devoirs du parlement et des parlementaires, la séparation des pouvoirs, la propriété et l’utilisation des ressources naturelles et le transfert de souveraineté à des organisations internationales (le pays a la présence du FMI en travers de la gorge et l’adhésion à l’Europe en question). Les 25 doivent rendre leur copie fin juillet, laquelle sera soumise, sauf contre-ordre à referendum. Ce sera alors, véritablement un document par le peuple, pour le peuple. Il est peu étonnant que ce processus inédit de e-politique émane d’Islande, micro pays assis sur une mine d’or, isolé de tout mais encore bien connecté à ses mythes et fou d’Internet (2/3 de la population est sur Facebook).

Militante et parlementaire, Birgitta est au cœur de cette réappropriation des institutions. Fille de troubadours, elle fréquente tôt les meetings et autre sit-in par sa mère, militante en faveur de la paix. Adolescente, elle rejette en bloc son éducation flower power, vire punk. Rebelle émancipée des illusions libertaires, elle se dit anarchiste réaliste « la plupart des gens ne veulent pas être responsables. Ils veulent que le système les prenne en charge. Ils ont abandonné leur pouvoir de co-création de la société. C’est l’une des raisons de la catastrophe actuelle. (…) Il faut réinvestir dans la démocratie » répète-t-elle. Bouddhiste, s’autoproclamant « aborigène high tech », Birgitta voudrait que tout le monde s’aime et se soulève. Elle n’en est pas moins réaliste : « les gens ne descendront dans la rue que quand ils seront affamés ou victimes d’injustice eux-mêmes ».

Et de fait, ici les filets de sécurité de l’Etat-Providence protègent aujourd’hui la caste politique d’une véritable rébellion, et le système d’une véritable réforme. Mais jusqu’à quand ? Il nous faudrait beaucoup de Birgitta, ce genre de fêlés qui laissent, comme le disait Audiard, passer la lumière.

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