samedi 2 juillet 2011

"Le système politique français n’est plus exactement démocratique. Il est oligarchique."


My God ! Laurent Joffrin reconnait la nature oligarchique du système politique actuel. Et il ne fréquente plus "Le Siècle" ! Mieux vaut tard que jamais.
Laurent Joffrin (Le Nouvel Observateur) - 2 juillet 2011



Confession d’un ancien enfant du Siècle : pendant quelques années nous avons fréquenté ce club fermé de la classe dirigeante qui se réunit chaque mois place de la Concorde dans les salons de l’Automobile Club. Le rituel est immuable depuis la IVe République : un verre de champagne dans la grande salle qui donne sur l’Obélisque, un dîner médiocre autour de tables rondes servies dans un vaste salon désuet pour 200 personnes. Un "chef de table" anime la conversation. Certaines sont assommantes et font un cours de Sciences-Po ; d’autres sont plus libres et pimentent l’ordre du jour de rumeurs sulfureuses ou d’indiscrétions. Peu de femmes, presque pas de membres des "minorités visibles", une troupe aimable et diserte d’hommes blancs le plus souvent chauves et replets, qui tiennent entre leurs mains le devenir de la société française. L’extrême-gauche y voit l’antre mystérieux d’un complot contre le peuple, le quartier général du libéralisme à la française. En fait, il ne s’y passe rien de précis sinon une chose : la reconnaissance mutuelle des puissants, la légitimation d’un pouvoir, la discrète consécration d’une influence générale sur la direction du pays. Friand de tous les lieux discrets, le journaliste y glane des infos. Les puissants et les excellents y agitent les affaires courantes au fil d’échanges informels, membres d’une société de célébration élégante bien plus que d’un état-major de la guerre de classe. Tout le monde se sépare à 23 heures, avec sous le bras la liste des invités agrémentée de leur numéro de téléphone direct, sésame pour se constituer un réseau, ce qui est la vraie fonction pratique du Siècle.
Fondé naguère sous des auspices francs-maçons et tolérants, le club le plus prisé de l’establishment est devenu un symbole de fermeture, le symbole d’une classe dirigeante qui a perdu, progressivement, le sens des réalités. L’inégalité en France s’est tellement accentuée depuis vingt ans, entre les très riches et les autres, que les puissants, désormais, dînent sur un volcan. La fine fleur de la bourgeoisie méritante, qui conduisait traditionnellement la modernisation du pays, a rejoint aujourd’hui la superclasse née de la mondialisation. Ses revenus, souvent extravagants, son mode de vie, luxueux, ses valeurs, libérales et financières, l’ont changée en une nouvelle aristocratie. Par contrecoup, loin de la Concorde, dans les villes et les villages d’apparence paisible, un nouveau tiers état ronge son frein, classes moyennes entraînées par le "descenseur social", classes populaires engluées dans la crise, cadres de second rang tenus hors les murs. Nous sommes en 1788.
Point de révolution violente en vue, certes, de têtes au bout des piques, d’hymnes vengeurs ou d’émeutes sanglantes. Mais une vaste désaffection civique, une défiance universelle à l’égard des dirigeants et une élection présidentielle de 2012 où les partis de gouvernement risquent de connaître une déconvenue majeure, où le parti de l’intolérance – qui est aussi, hélas, celui des ouvriers – pourrait bien réaliser un score historique. Le système politique français, en effet, n’est plus exactement démocratique. Il est oligarchique. Il est concentré entre les mains de quelques-uns, les happy few, les nobles sans particule. Un exemple ? Depuis la crise financière, chacun reconnaît la nécessité de réformer le système bancaire et de limiter les revenus des traders et des dirigeants de la finance. L’opinion le pense, les experts le préconisent, les élus le veulent. Rien n’a été fait. Le lobbying bancaire, relayé par tout ce que l’oligarchie compte d’hommes influents, a fait échec à toutes les tentatives. Les exemples de cette nature abondent.
Il ne s’agit pas de contester la nécessité d’une élite, de nier que la compétence ou l’esprit entreprise méritent récompense, encore moins de donner un grand coup de faux égalitaire. Aussi bien cette dérive n’a pas entamé les libertés publiques ni privé le peuple du choix de ses représentants. Tous les partis ont voix au chapitre, même les plus hostiles à l’ordre établi : les approximations enflammées des théoriciens extrêmes n’ont pas de réalité.
Mais il faut bien constater, comme le montre l’enquête de Serge Raffy et l’ensemble de notre dossier, que vingt ans de libéralisation et d’adaptation à la mondialisation ont consacré la domination d’une mince couche dirigeante, dont les principes éthiques ont été minés par la morale du gain individuel. A l’élite d’entrepreneurs et de hauts fonctionnaires modernisateurs de l’après-guerre, dont les revenus étaient très confortables mais raisonnables, dont les comportements étaient plus discrets et les ambitions, sinon altruistes, du moins plus collectives, a succédé une bourgeoisie avide et tape-à-l’œil, issue de l’héritage ou du pantouflage, qui pense spontanément que ce qui est bon pour elle est bon pour le pays. Symétriquement, l’égalité des chances, qui est le grand principe de légitimité de la République, est contredite chaque année davantage. Géographiquement protégée, attentive à assurer la réussite scolaire de sa progéniture, prolongée par des réseaux sociaux bien organisés, la nouvelle aristocratie se reproduit d’une génération à l’autre, tournant le dos à la logique méritocratique qui rendait l’inégalité acceptable. Les statistiques le montrent : les chances des enfants de classes populaires d’accéder au sommet se réduisent ; la logique de l’héritage, culturel et patrimonial, s’impose avec toujours plus de force. Sous les atours d’une modernité chatoyante, un nouvel Ancien Régime chemine subrepticement. Arrêter cette marche insidieuse et dangereuse ou bien restaurer une forme de morale républicaine : c’est l’enjeu majeur de la politique française.



Source : http://tempsreel.nouvelobs.com/actu...
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