samedi 1 octobre 2011


«Les copwatchers incitent les policiers au repli»

INTERVIEWTraquer le comportement des forces de l'ordre par la publication en ligne de données sur elles, tel est l'objectif du copwatching. De quoi parle-t-on ?
RECUEILLI PAR CORDÉLIA BONA

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Le logo du copwatching, repris par copwatch Nord IDF.
Depuis une semaine, le site Copwatch Nord-IDF, qui entend traquer le comportement des forces de l'ordre par la récolte partagée et la mise en ligne de données sur elles, fait bondir les syndicats de policiers et le ministère de l'Intérieur, qui a déposé deux plainte en diffamation (lireici). Qu'est-ce que le copwatching, quels sont ses objectifs, ses limites ? Les explications de Michaël Meyer, sociologue à l'université de Lausanne, spécialiste des relations entre police et médias.


Les fondateurs du site Copwatch Nord IDF se réclament du copwatching à l'américaine. De quoi s'agit-il et sommes-nous ici dans la même logique ?
Le copwatching, c'est la surveillance de la police de rue par des citoyens ordinaires. Il s’agit de suivre, de regarder et le plus souvent de capter en vidéo des policiers dans leurs interventions, dans un objectif de lutte contre les dérives policières. Il y a un modèle un peu mythique du copwatching né aux Etats-Unis dans les années 60, 70, dans le sillage du mouvement des droits civiques, et qui a été analysé surtout à partir des années 90 après l'épisode Rodney King (le tabassage, en 1991, d'un automobiliste noir par des policiers blancs, capté par une vidéo amateur. Cette dernière avait été à l'origine des violentes émeutes qui avaient secoué Los Angeles en 1992). Le mouvement copwatch s'est aussi rapidement développé au Canada et en Angleterre.
Dans chaque cas, il s'inscrit surtout dans une logique de «police accountability» : l'idée que la population et les médias, au sens large, ont un rôle de surveillance vis-à-vis de la police, qui doit sans cesse leur rendre des comptes.
Dans le cas de Copwatch Nord IDF, il y a certes cet objectif affiché de répertorier les pratiques policières pour empêcher les violences, mais cela va plus loin. De toute évidence, les auteurs, issus d'une mouvance anarcho-libertaire, pratiquent le copwatching comme un mode de résistance et de contestation. Au risque, avec ce positionnement très radicalement anti-police, anti-establishment, de marginaliser leur action.

En quoi les fondateurs de Copwatch Nord IDF vont-ils plus loin que ce qui existait jusqu'à maintenant en France ?
Ce qui frappe, c'est la volonté de systématiser la récolte des données. Il s'agit de rendre compte des événements isolés, comme les bavures, les abus d'autorité, mais aussi du quotidien du travail policier, à travers des informations publiques mais peu relayées : la description des unités, des grades, les contrôles de routine... L'objectif est celui d'une plate-forme de centralisation, une sorte de wikisurveillance, qui agisse aussi comme un miroir du mode de travail des policiers : fichage, observation... Cela dépasse de loin le copwatching qu'on pourrait qualifier de naïf qui existait jusqu'à présent : la captation spontanée d'une scène d'intervention policière par un témoin.

Le site utilise des images de policiers en action sur le terrain mais aussi des photos prises dans un contexte privé...
Deux statuts d'images cohabitent en effet sur ce site. Celles prises en rue, qui sont légales (sauf pour certains corps spécifiques des forces de l'ordre, et encore il y a un flou juridique). Et une deuxième catégorie d'images, mais aussi d'informations, celles recherchées sur les réseaux sociaux où elles sont diffusées par les policiers dans le cadre de leur vie privée. Ce qui pose la question de l'absence de règlement clair sur l'usage par les policiers de ces espaces de discussions semi-publics que sont Facebook et les forums, un champ assez difficile à contrôler.

Le copwatching a-t-il un réel pouvoir dissuasif de nature à prévenir les dérives policières ?
C'est l'objectif. Mais l'aspect contre-productif, c'est que le copwatch, en instaurant une surveillance mutuelle, renforce le sentiment de méfiance entre police et population. D'autant que l'une des réactions policières à ce phénomène, en Angleterre notamment, a été de renforcer la vidéosurveillance. Ce n'est pas un hasard si les premiers équipés ont été les commissariats : il y a aussi dans la police cette même idée de pouvoir se défendre par l'image. De prouver que l'on est dans son bon droit.
De même en Suisse, à Genève, les policiers ont tous été équipés d'iPhone. Utiles il est vrai pour retrouver telle ou telle donnée, mais aussi pour filmer si besoin. Résultat, on se retrouve dans une lutte de l'image où chacun surveille l'autre, avec des scènes un peu absurdes où des militants filment des policiers qui filment des militants.
L'autre limite, c'est que, se sachant filmés par des témoins, les policiers se réfugient dans des procédures très mécaniques de travail. Plutôt que de discuter, apaiser la relation, tenter la pacification de l'intervention, les patrouilles, soumises à la présence intrusive et suspicieuse des téléphones portables et caméras, s'en tiennent à la procédure. Ils «font la police» de manière autoritaire, en se disant que le moindre de leur geste, filmé et donc potentiellement visible par leur hiérarchie, peut se retourner contre eux. Les copwatchers incitent en fait les policiers au repli et au légalisme strict.

Dans les pays où le copwatching est installé, comment est-il perçu par la population?
La difficulté, et on le voit déjà en France lors de certaines manifestations, c'est que la majeure partie de la population n'entre en contact avec ces images que lorsqu'elles sont reprises par les médias. A partir de là, il y a un glissement du débat, qui se déporte sur les images elles-mêmes, leur usage, plutôt que sur les politiques publiques de sécurité.
D'autre part, ces images amateurs sont fréquemment les outils d'une montée en généralité : d'une série de situations éparses, on infère rapidement un état généralisé de la police. Chaque image captée ou donnée récoltée s'ajoute au témoignage à charge, souvent sans tenir compte de la diversité des contextes et des situations montrées. Source: Libé

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