lundi 24 octobre 2011

Mieux que la VIe République, l'Assemblée constituante ?



Vincent Barros - Marianne | Mardi 25 Octobre 2011 à 05:01 | Lu 591 fois
Philosophe, économiste, ancien député socialiste, André Bellon vient de publier un réquisitoire contre le régime (trop) présidentiel de la Ve République. Pour l'auteur, le lien est rompu entre les élus politiques et leurs électeurs, qui n'ont plus de prise réelle sur la marche des choses. Aussi Bellon appelle-t-il à un réforme des institutions par le peuple, dans le cadre d'une Assemblée constituante.

(couverture du livre)
(couverture du livre)
Si ce n’est une dictature, c’est tout comme. Une monarchie élective peut-être… Un régime présidentiel de toute évidence ! André Bellon provoque, car il en est certain : le suffrage universel tel que nous le vivons en France ne permet pas aux citoyens d’exercer de manière éclairée et efficace leur souveraineté. 
  
Aussi le polytechnicien de gauche républicaine indique-t-il les raisons, dans son dernier ouvrage, qui justifient, non pas une nouvelle constitution, mais une nouvelle constituante représentative de la volonté de l’ensemble du peuple français. Comme celle d’après la Révolution française, comme celle qui se dessine aujourd’hui en Tunisie. 
  
Député socialiste de 1981 à 1993, Bellon critique les dérives du PS depuis lors. Dans l’épilogue de son ouvrage, intitulé « République ou Barbarie », qui n’est pas sans rappeler l’organisation révolutionnaire d’orientation marxiste « Socialisme ou Barbarie », fondée par Cornélius Castoriadis et Claude Lefort, Bellon règle ses comptes avec l’eurosocialisme, en France l’ère Mitterrand. « Rompant avec toutes les traditions de la République, laïcité, services publics, équilibre des pouvoirs… cette gauche a légitimité le discours de ses adversaires contre les principes issus de la philosophie des Lumières », écrit-il. 
  
Retiré de la politique et collaborateur régulier du Monde Diplomatique, Bellon présidel’Association pour une Constituante, qu’il a fondée suite au référendum de 2005, par lequel 55 % des électeurs français avaient rejeté le Traité constitutionnel européen (TCE) alors que 96 % des parlementaires l’approuvaient… Pour Bellon, les élus se sont définitivement assis sur la volonté de leurs électeurs lors de la ratification du Traité de Lisbonne – jumeau du TCE – en février 2008. 
  
Parce que les partis politiques ne représentent plus la réalité du corps social et que la souveraineté populaire est selon lui bafouée, André Bellon nous explique pourquoi faut-il changer de République. 

Marianne 2 : Une Assemblée constituante serait-elle la dernière solution démocratique en rupture avec la gouvernance actuelle ? 

André Bellon : Beaucoup de gens ont écrit sur le délitement de la démocratie, je ne prétends pas être le premier. J’ai voulu, dans mon livre, apporter une œuvre originale inspirée de mes douze années de députation et trente années de militantisme. J’ai quitté le milieu politique parce que je considérais qu’il s’engageait dans une voie sans issue. 

Aujourd’hui, c’est devenu quasiment une banalité de le dire. Mais pour sortir de la crise, beaucoup cherchent à recréer ce qui a existé : « la vraie gauche »« le vrai gaullisme », ça ne mène à rien, car le jeu politique, tel qu’il est, n’est pas réformable. D’autres, considérant nos représentants théoriques comme illégitimes, proposent des solutions baroques, comme par exemple de procéder au choix de nos dits représentants par tirage au sort… 

Contre la gouvernance, ce terme qui me donne des boutons, la seule solution, c’est la souveraineté populaire. Il y a eu des précédents dans l’histoire de France. Doit-on rappeler que c’est la souveraineté populaire qui nous a sorti d’une crise financière en 1789 ? 

Il y a cinq ans, vous publiiez dans les colonnes de Marianne votre « Manifeste pour une Assemblée constituante ». Votre idée a-t-elle cheminé dans les consciences politiques et citoyennes ? 

On constate que le mot « Constituante » a pris une ampleur tant au niveau national qu’international. Voyez la Tunisie et surtout l’Islande, dont les médias ne parlaient que du volcan, en 2010, quand nous étions les seuls à évoquer son Assemblée constituante. 

Notre association a été fondée par une dizaine de membres, elle en compte 200 aujourd’hui. Notre site Internet est passé de 40 à 600 visiteurs uniques par jour. Donc en terme de lisibilité, nous progressons. Nous ferons d’ailleurs une grande réunion le samedi 3 décembre auprès de Paris à Romainville pour rassembler et approfondir. Dans le débat politique officiel, l’idée d’une Assemblée constituante n’est pas admise, mais elle commence à être entendue, ce qui est déjà merveilleux compte tenu des forces prodigieuses qui sont contre nous ! 

Certains de nos adversaires, comme Jacques Attali, tentent même de récupérer le terme en le dévoyant, par exemple en proposant une Constituante européenne. Ce n’est pas là une réponse, le peuple d’Europe n’ayant pas de réalité politique.

« LE SYSTÈME DES PARTIS SANS PARLEMENT, EN QUELQUE SORTE »

Dès le début de son quinquennat, Nicolas Sarkozy a voulu assumer directement la responsabilité des décisions face à l’opinion. On a parlé d’un hyperprésident et d’un Premier ministre en retrait. Le Parlement sert-il encore à quelque chose ? 

Non, il ne sert aujourd’hui malheureusement pas à grand chose, c’est évident. Sous la Ve République, le pouvoir du président est, à mon sens, exorbitant. Plusieurs réformes ont accentué cette suprématie de l’exécutif sur la représentation : l’élection du président au suffrage universel direct (1962), le passage au quinquennat (2000) et l’inversion du calendrier des scrutins présidentiel et législateur (2002), la pire des réformes dont Lionel Jospin fut l’instigateur. 

C’est le système des partis sans Parlement, en quelque sorte, comme je l’explique dans mon livre. Les partis s’illustrent davantage par des armées disciplinées que par de véritables lieux de débat. 

Le lien entre les élus politiques et leurs électeurs s’est rompu. Et pour cause : lors du référendum sur le traité constitutionnel européen de 2005, par exemple, « le peuple n’était pas capable de voter sur des sujets aussi complexes », nous disait-on. Aujourd’hui, les programmes des principaux candidats (UMP et PS) demandent aux électeurs de choisir sur des sujets aussi divers et difficiles que l’économie, le social, la géopolitique, les questions écologies,… mais là, le peuple est, paraît-il, apte à voter… De qui se moque-t-on ? 

Plusieurs politiques prennent position en appelant à changer de République. On pense à Bayrou, Mélenchon et surtout Montebourg… 

Je me méfie de ceux qui utilisent la VIe République comme slogan, avec l’idée d’une nouvelle Constitution déjà établie. Ils pourraient ainsi remplacer un dogme par un dogme. La différence avec notre association, c’est qu’on ne milite pas pour une nouvelle Constitution mais pour une Assemblée constituante, soit un processus qui engendre in fine la Constitution, de manière à ce que ce soit véritablement le peuple qui définisse les nouvelles institutions par un processus d’appropriation de la vie publique et de reconstruction de la citoyenneté.

SARKOZY : « LA QUINTESSENCE DE LA DÉGRADATION DE LA VIE PUBLIQUE »

Nicolas Sarkozy, qui est pour une « Ve République réformée », déclarait en 2007 que le problème n’est pas institutionnel mais intellectuel et moral. Ce n’est pas, disait-il, « en revenant aux errements du passé qu'on résoudra les problèmes d'aujourd'hui ». Qu’en dites-vous ? 

Je ne suis pas de ceux qui font de Sarkozy l’alpha et l’oméga de l’horreur, mais il représente pour moi la quintessence de la dégradation de la vie publique ; laquelle était déjà bien dégradée, et il s’est inscrit dans cette continuité en l’amplifiant. 

Il parle de morale, de quoi s’agit-il au juste ? Il ne me semble pas, à la lumière des affaires de son quinquennat, qu’il soit un symbole de morale publique. Il évoque également l’histoire, alors même que le président de l’UMP, Jean-François Copé, s’insurgeait contre la Révolution et tout particulièrement contre l’un de ses symboles, jusqu’alors assez consensuel : l’abolition des privilèges qui caractérisaient, sous l’Ancien Régime, les pouvoirs exorbitants de la noblesse et du clergé. Monsieur Copé, de façon assez ahurissante, estimait qu’il régnait en France « une ambiance malsaine de Nuit du 4 août » … Voilà un vrai discours archaïque ! 

Vous écriviez en juillet dernier dans une tribune au Monde que la formule de« gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple » employée dans l’actuelle Constitution apparaît aujourd’hui comme une agression et un mépris. Vraiment ? 

La règle du jeu politique détermine la vie politique. La clé de notre système, c’est en théorie le suffrage universel direct. Mais tout découle de l’élection présidentielle. Et ce n’est pas compliqué : il nous faut choisir entre Dupont et Durand. « Faut-il garder le président sortant ? » C’est ainsi que la question est posée. Le reste est accessoire. Mitterrand s’était fait élire sur un programme en 1981, il a fait tout l’inverse deux ans plus tard. Sarkozy avait dit qu’il ne toucherait pas aux retraites, il l’a fait. Quel est le contrat entre les citoyens et les élus ?

HOLLANDE : « SES POSITIONS SONT CONFORMES »

Où est passée l’opposition ? C’est l’une des questions que pose votre livre. Le Parti socialiste emmené par François Hollande est-il à même de réformer les institutions ? Les primaires n’ont-elles pas redynamisé le débat démocratique ? 

Je n’ai pas entendu Hollande dire des choses bouleversantes sur cette question. Je ne sais pas si d’ailleurs, un jour, un politique dira des choses fondamentales là-dessus. Qu’importe le candidat : la question des institutions est posée, on attend les réponses. 

Quant aux primaires, je trouve ça original, même s’il est un peu inattendu qu’un candidat puisse se faire élire aussi par ses adversaires... Outre leur côté télé-réalité, elles ont reflété une demande démocratique. Maintenant, est-ce qu’elles y répondent ? Je ne sais pas. Ce qui est vrai, en revanche, c’est qu’avec elles, Hollande bénéficie d’une certaine forme de légitimité. 

Votre critique des institutions n’est pas que nationale, elle est aussi européenne… 

De la CECA de Jean Monnet à l’Union européenne de Jacques Delors, la construction européenne ne s’est jamais préoccupée de l’aspiration démocratique. Elle y était au mieux indifférente, au pire hostile. Ça ne s’est pas arrangé depuis. L’Europe se fiche de la démocratie : elle a été construite sur des bases économiques, donc elle fait de l’économie, pas autre chose. 

Des pays membres de l’UE, il y a ceux qui ont l’euro pour monnaie, ceux qui font parti de l’espace Schengen, ceux qui ne le sont pas… Ce n’est pas une construction homogène. Maintenant il faut se poser la question : est-ce que la construction et la direction de l’Europe des 27 est encore pertinente face à la recomposition du monde, aux nouveaux défis géopolitiques ? Peut-être faudrait-il quelques chose de plus ramassé : l’Europe des 6, des 10, je n’en sais rien. Pour le savoir, il faut repasser par la case peuple. 

Dans votre Manifeste, on peut y lire : « Le capitalisme domine et déstructure le monde, détruit la démocratie, la citoyenneté et l’humanisme pour laisser libre cours aux luttes des intérêts particuliers. Nous ne devons pas chercher à l’influencer, mais au contraire lui opposer des instruments ». Lesquels ? 

Jusqu’à une période assez récente, dans les années 70, on parlait d’économie politique. A l’Université, par exemple, c’était une branche de la faculté de droit, elle était encore liée à une certaine conception de la justice et à la question sociale. 

Et puis on a parlé d’économie tout court, comme science maîtresse. C’est devenu une branche autonome, la clé de route de notre pensée qui aujourd’hui domine tout : l’histoire, la politique. L’aspect soi-disant scientifique de l’économie a donné vérité à un corps d’hypothèses qui lui-même est contestable. Le « marché pur », la « concurrence libre et non faussée », ça ne veut rien dire… On assène des vérités au nom d’une scientificité elle-même contestable. 

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