lundi 31 octobre 2011

VERS L’ABIME ? (2)


Par Patrick Mignard
Nous avons vu dans le précédent article « VERS L’ABIME ? (1) » le mécanisme de la décadence du système dominant dans ce qu’il est convenu d’appeler la société civile. Le panorama ne serait pas complet si l’on omettait d’évoquer la crise financière qui accélère cette décadence.
 La dimension financière dans le capitalisme n’est certes pas nouvelle mais elle a pris aujourd’hui un dimension nouvelle – comparée par exemple à la crise des années 30 – ne serait ce que du fait de lamondialisation du capital et des techniques, aussi bien quantitatives que qualitatives, de valorisation du capital financier.
LA NOUVELLE DONNE
 En plus d’un siècle, le capitalisme, tout en fonctionnant sur le même principe, a largement évolué et a perfectionné les moyens pour atteindre toujours le même objectif : faire de l’argent.
Limités jusqu’au années 50 aux « Etats nations » industriels qui détenaient technologie, capitaux, main d’œuvre et en réserve les ressources de leurs empires coloniaux, les « capitalismes nationaux » règlent leurs comptes sur le plan intérieur par des politiques économiques relativement indépendantes et la répression et sur le plan extérieur par la diplomatie aboutissant souvent à la guerre.
Le lendemain de la 2e guerre mondiale, tout en conservant le système, modifie la donne :
 -          le dollar devient monnaie de réserve, rattaché à l’or, et de ce fait stabilise les taux de change ;
-          le capital déborde les frontières nationales, aidé en cela par le développement des moyens de communication, de transport et la décolonisation généralisée ;
-          tous les marchés se mondialisent – y compris le marché de la force de travail.
Les politiques interventionnistes, utilisées pour riposter à la crise des années 30 et assurer la reconstruction, deviennent rapidement obsolètes devant la mondialisation du capital et la perte relative du pouvoir économique des Etats.
La voie est ouverte pour le libéralisme.
De 1945 à 1971 il n’y a pas de crise financière… Ce sont les « Trente Glorieuses » dernière période faste pour les vieux pays industriels…
Notons que le camp dit « socialiste », durant cette période, s’il joue un rôle sur le plan diplomatique, n’interfère absolument pas de manière déterminante, sur le plan économique, avec le capitalisme occidental.
L’EXPLOSION LIBERALE
 Le 15 août 1971, les USA détachent (récession, Vietnam,…) leur monnaie de l’or… mettant du même coup à bas le système monétaire mis en place en 1944 à Bretton Woods. Conséquence : les taux de change jusque là fixes, deviennent variables, désorganisant le commerce international… d’où une recherche de stabilité dans les « couvertures de risques »… donnant naissance à une véritable « industrie financière » de la gestion des risques… fondée sur la spéculation.
Cette pratique spéculative favorise l’émergence de nouveaux marchés : ceux des « produits dérivés ». Adossés aux produits d’assurance de couverture de risque, ils s’étendent à tout ce qui est échangeable sur le marché : matières premières et surtout, contrats d’assurance, garanties de recouvrement de créances…
Avec la généralisation de la déréglementation des taux d’intérêt, c'est-à-dire du coût de l’argent emprunté au système bancaire, au début des années 80 (sous l’impulsion de Reagan –Thatcher) et de la libéralisation européenne, l’industrie financière se hisse à un sommet jamais atteint.
« En 2007, les transactions concernant l’économie réelle représentent seulement 1,6% des échanges interbancaires du monde entier ».
(« Un Monde sans Wall Street ? » de François MORIN)
Désormais, avec la déréglementation, tout est possible pour faire de l’argent facile, une multitude de produits financiers voit le jour. Ils vont être les instruments d’une spéculation effrénée.
On entre alors de plein pied dans un capitalisme financier qui soumet l’économie réelle à ses exigences, qui détruit les solidarités (caisses de retraites spéculatives), qui marchandise les services publics (privatisations), qui spécule sur les ressources essentielles à la vie des populations (céréales, énergies, matière première, santé…).
L’appât du gain n’est plus simplement fondé sur l’exploitation industrielle de la force de travail, mais surtout sur la spéculation financière. L’essentiel des profits effectués l’est dans la sphère financière… banques, fonds de pensions, Hedge Funds en sont les principaux bénéficiaires.
Les bulles financières ainsi constituées, fondées sur la couverture de risque et la spéculation, fondées sur une véritable mutation de la pratique bancaire qui substitue les pratiques de marché au crédit, constituent un système à la merci du moindre incident financier.
Parallèlement, les Etats ont abandonné leurs prérogatives en matières monétaires et se sont soumis volontairement pour leurs politiques budgétaires aux marchés financiers,… d’où les dettes actuelles.
La crise est le prolongement logique de ce fonctionnement.
LA CRISE
 Elle était prévisible, mais encore fallait-il décrypter les données. La sonnette d’alarme a été tirée depuis longtemps. Plusieurs incidents bancaires graves en ont été les précurseurs. Les économistes officiels, politiciens, « experts », professionnels de la finance, élus,… n’ont rien dit pendant des années. Ils portent de ce fait une écrasante responsabilité.
La crise des subprimes a révélé l’ampleur des dégâts de la généralisation des instruments financiers de couverture de risque. La pratique de la titrisation et l’usage des paradis fiscaux par tous les agents financiers tout en facilitant les pratiques obscures, en ont aggravé les conséquences.
Les politiciens et leurs « experts » ont vu leurs « théories » économiques et leur déréglementation prises en défaut.
L’ensemble du système bancaire touché (gorgé de produits financiers toxiques), c’est l’économie réelle qui en fait les frais, celui-ci bénéficiant des largesses des Etats pour se reconstituer au frais de l’argent public. On a trouvé en quelques jours des sommes que l’on est incapable de réunir pour lutter contre la pauvreté, les maladies et la faim dans le monde. (1er scandale).
Ceux qui ont cru que la crise était passée en ont été pour leurs frais. Non seulement les produits financiers toxiques – surtout des CDS (Credit Default Swap) sont dans tout le système bancaire mondial, prêts à resurgir,…  mais les Etats se sont pris à leur propre piège d’avoir recours aux marchés financiers pour leurs dettes. N’ayant aucun pouvoir, et n’en voulant aucun, au nom du libéralisme, sur le système bancaire, l’émission de monnaie, les agences de notation et les paradis fiscaux, ils se retrouvent comme les simples agents pris au piège de la finance,… n’ayant comme seul recours que de faire payer leurs citoyens.
La crise des dettes souveraines, celle qui consiste à ne plus pouvoir combler les déficits publics est autrement plus grave que celle déclenchée par les subprimes, car cette fois ce ne sont plus simplement des particuliers qui sont en faillite, mais des Etats. De plus, les sommes en jeu, et les réserves pour sauver les Etats ne sont plus disponibles. D’où le bricolage actuel.
QUE FAIRE ? OU ET COMMENT ?
 Face à cela le citoyen est totalement démuni. Il peut s’indigner, manifester, dénoncer les élus, s’affronter à la police, faire grève, pétitionner…cela ne change rien à la situation.
Les dirigeants qui l’ont mené au bord du gouffre ont été élus par lui,… il est donc constitutionnellement, légalement et même démocratiquement mal placé pour les critiquer – dans le cadre de lois qu’il accepte - et ce d’autant plus qu’il les reconduit systématiquement au pouvoir depuis des année.
Les peuples sont aujourd’hui victimes des discours démagogiques qu’ils ont cautionné et des limites de la « démocratie représentative » qui dans le cadre du capitalisme n’est qu’une escroquerie… la preuve sous nos yeux aujourd’hui.
Ceci explique certainement le véritable désarroi des peuples qui, trop longtemps confiant dans les institutions, se voient trahis par ceux qu’ils considéraient comme quasiment sacrés, leurs élus. Ceux-ci, qui ont su se barder de privilèges, leur font payer leur excès de confiance en liquidant tous les acquis sociaux laborieusement conquis (retraites, services publics, santé,…).
« On ne sait plus quoi faire », telle semble être la réflexion générale. Et d’ailleurs à défaut de « ne plus savoir quoi faire » on s’apprête à recommencer les mêmes erreurs, « réélire les mêmes ou d’autres… pires ».
J’exagère ?... Voir ce qu’il s’est passé au 20e siècle entre les deux guerres.
Se heurter de front au système financier apparaît comme « mission impossible » et elle l’est ; et ce n’est pas en occupant Wall Street que l’on va faire chuter la finance globalisée ou en signant des pétitions exigeant des explications sur la dette. Les flambées de colère et d’indignation, si elles illuminent un instant les pensées noires d’une opinion publique déboussolée, n’éclairent en rien l’avenir.
Certes ces mouvements d’humeur sont respectables, significatifs, révélateurs, justes, fondés,… mais pas du tout porteur de la moindre stratégie de changement. Sans pour cela les ignorer, l’essentiel ne peut que se passer ailleurs.
Mais où et comment ?
 -          en rejetant d’abord le jeu stérile des élections qui donne une légitimité aux profiteurs du système, par l’intermédiaire d’élus complices. Des noms ?
-          en repensant des relations sociales nouvelles qui mettent dans un rapport différent, que celui imposé par le système, producteurs et consommateurs.
-          en refusant la fatalité de la liquidation d’entreprise, en en prennent la direction et la faisant fonctionner dans un cadre nouveau – exemple du mouvement des reprises d’entreprises en Argentine.
Les jeunes, et les moins jeunes, qui sont exclus ne trouveront pas leur avenir dans les banques et dans les entreprises qui licencient et délocalisent.
Nous avons été pendant des décennies éduqué/es dans des pratiques politiques, syndicales, économiques et sociales qui sont aujourd’hui obsolètes. Les méthodes à mettre en œuvre ne sont pas inscrites dans les vieux grimoires poussiéreux de la démocratie parlementaire et ses institutions vermoulues.
L’avenir n’est inscrit nulle pas… à nous de l’inventer
Patrick MIGNARD
novembre 2011    

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