vendredi 9 décembre 2011

Contre-feux, Pierre Bourdieu, 1998

« [Les] contraintes de la concurrence se conjuguent avec les routines professionnelles pour conduire les télévisions à produire l'image d'un monde plein de violences et de crimes, de guerres ethniques et de haines racistes, et à proposer à la contemplation quotidienne un environnement de menaces, incompréhensible et inquiétant, dont il faut avant tout se retirer et se protéger, une succession absurde de désastres auxquels on ne comprend rien et sur lesquels on ne peut rien. Ainsi s'insinue peu à peu une philosophie pessimiste de l'histoire qui encourage à la retraite et à la résignation plus qu'à la révolte et à l'indignation, qui, loin de mobiliser et de politiser, ne peut que contribuer à élever les craintes xénophobes, de même que l'illusion que le crime et la violence ne cessent de croître favorise les anxiétés et les phobies de la vision sécuritaire. Le sentiment que le monde n'offre pas de prise au commun des mortels se conjugue avec l'impression que, un peu à la manière du sport de haut niveau qui suscite une coupure semblable entre les pratiquants et les spectateurs, le jeu politique est une affaire de professionnels, pour encourager, surtout chez les moins politisés, un désengagement fataliste évidemment favorable à la conservation de l'ordre établi. »

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