samedi 28 janvier 2012

Oser rendre au peuple le pouvoir qui lui revient




« Les temps sont mauvais, les temps sont difficiles ; voilà ce que disent les gens… Vivons bien et les temps seront bons. C’est nous qui sommes les temps ! Tels nous sommes, tels sont les temps. » Saint Augustin.
Vito Marinese - 26 janvier 2012


Pourquoi la démocratie sera-t-elle le thème central de la campagne présidentielle de 2012 ? Le caractère affirmatif de cette interrogation pourrait faire sourire tant la « question démocratique » intéresse peu les médias et par ricochet les citoyens. Reléguée depuis trop longtemps à l’arrière-plan des programmes électoraux, tout laisse pourtant à penser qu’elle s’imposera, à l’instar de la sécurité en 2002 et du pouvoir d’achat en 2007, comme le thème incontournable de la campagne de 2012.
D’aucuns objecteront, à juste raison, que La crise fera de l’ombre à cette légitime préoccupation. Mais précisément, de quelle crise s’agit-il ? Financière ? Economique ? Sociale ? Ecologique ? Tout cela à la fois ; elle est globale ! Cette crise puise ses racines dans la crise de l’intérêt général…
Comment comprendre autrement la servitude volontaire d’une grande majorité de la population qui paie au prix fort les privilèges d’une infime minorité ? Comment expliquer que les décisions prises par nos représentants le sont dans la perspective de la prochaine échéance électorale et non dans celle du long terme en conciliant les intérêts des générations présentes et à venir ? Ce système est arrivé au bout de son absurde logique lorsque l’on constate que la génération future, sacrifiée depuis des décennies, aujourd’hui c’est nous. Les crises de la dette et de l’écologie sont, au passage, là pour nous le rappeler.
A qui la faute ? Entre élus et citoyens, les responsabilités sont partagées. C’est parce que les citoyens se sont très massivement et trop longtemps désengagés du débat public que les décisions les plus ineptes ont pu être prises et singulièrement que le pouvoir politique s’est effacé derrière le pouvoir économique et financier. Voilà comment la démocratie prend tout son sens : dans ce jeu de miroir où les représentés ont les représentants qu’ils méritent.
A cet égard, notre époque signe l’échec flagrant de l’idéal démocratique – devenu réalité – de Benjamin Constant pour qui « le système représentatif est une procuration donnée à un certain nombre d’hommes par la masse du peuple, qui veut que ses intérêts soient défendus, et qui néanmoins n’a pas le temps de les défendre toujours lui-même ». Deux siècles plus tard, le fossé s’est dangereusement creusé entre des représentants de moins en moins représentatifs et des représentés de moins en moins conscients de leur intérêt commun.
L’absence d’horizon partagé explique alors en grande partie la « fatigue psychique » dont souffrirait une France contemporaine en quête de sens. Individualisme et consumérisme ont miné une cohésion sociale qui apparait pourtant comme la seule issue possible face à une crise qui ne pourra, de toute évidence, être surmontée que collectivement.
Parce que cette crise est un défi lancé à la collectivité, c’est-à-dire à cette collection d’individus qui forment société et qui font d’elle le reflet de ce qu’ils sont, nul ne peut plus occulter aujourd’hui le seul levier qui peut permettre d’y faire face : nous. « Les temps sont mauvais, les temps sont difficiles ; voilà ce que disent les gens… Vivons bien et les temps seront bons. C’est nous qui sommes les temps ! Tels nous sommes, tels sont les temps. ». Ce constat de Saint Augustin offre une grille d’analyse qui demeure étonnamment pertinente. De ce point de vue, si la prochaine élection présidentielle pouvait avoir un mérite, ce serait d’avoir ramené à la conscience un grand nombre de citoyens - consommateurs, salariés, chefs d’entreprises, chômeurs, parents, enseignants etc… - quant à la responsabilité qui est la leur dans le monde qui les entoure. Vérité impossible à asséner en campagne électorale ou début d’une solution sérieuse pour faire face à la crise ?
Aucun candidat ne pourra plus sérieusement se contenter de la formule aussi magique que réconfortante : « votez pour moi, je m’occuperais du reste ». Survivance d’une forme de despotisme éclairé, notre régime politique entretient pourtant l’illusion, élection présidentielle spectaculaire oblige, que le destin d’un pays tout entier est entre les mains d’une seule personne. Personnalisation et concentration du pouvoir induisent mécaniquement la passivité des citoyens cantonnés dans leur fonction d’électeur ; elles conduisent inévitablement à l’échec de nos institutions politiques incapables d’apporter des solutions efficaces aux problèmes de notre temps. Cette impuissance alimente alors un peu plus la déception et partant la désillusion générale face à ce que l’on nomme politique. D’où les records d’abstention et la défiance croissante des citoyens vis-à-vis de leurs représentants.
Dès lors, la crédibilité des programmes présidentiels sera indexée sur leur valeur démocratique. Il ne suffira pas de proposer un nouveau lifting constitutionnel mais de formuler des propositions ambitieuses qui seront les fondements d’une République qui retrouverait le sens qui lui manque : « ce qui nous appartient ». Il ne suffira nullement de pratiquer ce qu’il est convenu d’appeler - par le recours à un drôle de pléonasme - « la démocratie participative », mais d’en finir avec une répartition figée des rôles : les professionnels de la politique d’un côté et les citoyens de l’autre.
Il ne suffira pas d’interdire le cumul des mandats mais d’assurer le renouvellement d’une classe politique qui lasse les électeurs de tout bord. Il ne suffira pas de pratiquer « l’ouverture à la société civile », mais de manière plus essentielle, d’exhorter la société à jouer le rôle qui lui revient et qui consiste à s’informer, réfléchir, s’exprimer, agir… afin d’éclairer tous ceux qui prétendent la représenter. Reprenant ainsi la place qui leur revient, les citoyens seront à la base d’une politique menée en leur nom et fondée sur la recherche du « bonheur de tous » ainsi que le prévoit la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen dans son préambule.
À l’aune de ces exigences, le candidat idéal devra posséder des qualités essentielles. De la lucidité pour comprendre que –fut-ce à la tête de l’Etat – seul… on ne peut pas grand-chose ; du courage aussi et à bonne dose pour oser rendre au peuple le pouvoir qui lui revient.


Source : Courriel à Reporterre.
Vito Marinese est docteur en droit à l’Université Paris Ouest Nanterre et chargé de conférence à Science-Po Paris

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