dimanche 15 janvier 2012

LES NOUVEAUX CHIENS DE GARDE : au pied! (2/2)

Suite de l’entretien en deux parties avec Yannick Kergoat, co-auteur et co-réalisateur des Nouveaux chiens de garde. Où il est question d’Isabelle Giordano, de Laurent Joffrin et de… Bakchich.  Damned ! 



Depuis 1997 et le livre de Serge Halimi, j’ai l’impression que la connivence journalistes-politiques n’a fait qu’empirer. Minc, Duhamel, Joffrin, Giesbert, Barbier, Chabot, Field, Elkabbach, PPDA ou les « experts » BHL, Attali, Michel Godet, Christian de Boissieu sont en place et ceux qui ont disparu ont été remplacés par des clones. 

Y. K. : Bien sûr. C’est pour cela que nous continuons à dénoncer, à nous battre. On ne va pas résoudre le problème des médias sans réformer, un peu, la société. Notre lutte, c’est de faire des médias une question politique, interpeller les politiques, les citoyens, pour que la question des médias ne soit pas laissée aux journalistes eux-mêmes. Les syndicats de journalistes se battent sur leurs conditions de travail. Nous essayons de les remettre sur la question du contenu de l’information. 

«Giordano est exemplaire»

J’ai été ennuyé par certains aspects du film. Vous faites cinq minutes sur Isabelle Giordano et ses « ménages ». Giordano ne fait pas partie des chiens de garde, il m’aurait semblé plus pertinent de se pencher sur quelqu’un comme Eric Zemmour et ses « idées » qu’il propage tel un virus. 

Y. K. : Nous avons réalisé une séquence assez longue sur les ménages, assez symptomatique de ce qui se passe en France. Le cas d’Isabelle Giordano est exemplaire car elle jouit d’une très bonne image auprès du grand public. On révèle que derrière des images préfabriquées, il y a une réalité différente. La question des ménages n’est pas centrale, mais elle nous interpelle. Est-il normal, souhaitable, qu’un journaliste fasse des ménages ? C’est interdit par la charte de déontologie des journalistes. Pourquoi y a t-il autant de « grands journalistes » qui pratiquent les ménages ? Isabelle Giordano animait une émission de défense du consommateur, sur le service public, et en même temps elle faisait un ménage pour Sofinco, puis elle invitait le directeur de la communication de cette société pour s’exprimer dans son émission ! 


«Nous forçons le trait 
de temps en temps»

Je vous ai trouvé un poil injuste avec Laurent Joffrin. On le voit lors d’une conférence de presse de Sarkozy où il lui cire copieusement les bottes. Sauf que vous avez coupé juste avant une question qui avait provoqué l’ire présidentielle, le patron de Libération lui reprochant d’avoir « instauré une forme de pouvoir personnel, voire de monarchie élective » lors de la conférence de presse de janvier 2008.

Y. K. : Ce n’est pas la même conférence. Je connais bien cette archive de 2008 et Sarkozy a humilié publiquement Joffrin, devant les autres journalistes qui se marraient, au lieu de quitter la salle ! Pour Joffrin, je dois avouer que de temps en temps, nous forçons le trait, c’est un film satirique, un pamphlet, un film de combat qui fait rire. Joffrin s’est refait une virginité lors de cette conférence de 2008. Mais bon, cette question ne rachète pas des années de connivence avec le pouvoir, illustrée par cette question cire-pompes à Chirac que nous montrons dans le film. Joffrin ne manque jamais dans ses éditos de rappeler que Sarko est courageux, qu’il prend l’opinion publique à revers, se conduit comme doit se conduire un vrai chef d’Etat… Je pense quant à moi que Joffrin est un des acteurs du virage libéral du journal Libération. Par aller plus loin, on peut se demander si en France un journaliste peut poser une question un peu dérangeante au Président de la république ou aux dirigeants d’un grand parti. Si c’est une question agressive, c’est systématiquement pour un petit candidat. Là, ils se lâchent, comme Jean-Michel Apathie qui agresse régulièrement les petits candidats. J’ai un regret pour Apathie, car nous avions une superbe archive où il défendait toutes les tares de la profession de journaliste mais nous avons été obligés de la couper. 


«La critique des médias est devenue un produit médiatique »

Vous regardez Le Petit journal, de Yann Barthès, sur Canal Plus ? Je trouve qu’il y a une critique de la politique et des médias qui me semble salutaire.

Y. K. : Je regarde très peu. La critique des médias s’est largement diffusée dans les médias eux-mêmes. Quelle chaîne n’a pas son émission de critique des médias, de décryptage de l’info, sa chroniqueuse qui fait sa revue de presse un peu vacharde sur les collègues ? Mais je pense que cette critique des médias est devenue un produit médiatique comme les autres. Cela reste de l’épinglage, la dénonciation d’un petit bidouillage, mais jamais une critique de fond. Cette critique est dangereuse, car elle induit que la laisse est un peu plus longue, que le système est démocratique car il accepte l’autocritique. 


«On ne peut pas se vautrer dans l'auto promo»

Pour la promo, vous allez porter la bonne parole sur toutes les chaînes.

Y. K. : Sûrement pas. Zemmour voulait débattre avec nous, avec Naulleau. Nous avons décliné car nous refusons d’être le moment d’une caution démocratique. Nous avons fait un film de cinéma pour toucher directement le public. Si j’accepte de parler à Bakchich, c’est parce que c’est Bakchich, un média internet, indépendant, pas financiarisé. Si nous critiquons comme nous les critiquons les médias, nous ne pouvons pas nous vautrer n’importe où pour faire de la promo ! Et pour quoi ? Deux minutes à la télé qui vont nous rapporter trois spectateurs. Le livre de Serge Halimi, massacré par la critique dominante, s’est vendu à 250 000 exemplaires grâce au bouche-à-oreille. Avec un film, nous sommes dans une économie différente, il faut qu’il marche en première semaine, sinon, il sera dégagé des écrans. On prend le risque ! Mais on sait que le film aura une deuxième vie. Il sera vu dans des associations, il y aura des débats…

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