vendredi 13 janvier 2012

Pour réduire le chômage, réduisez le temps de travail




"C’est encore une fois la baisse du temps de travail qui permet de créer des emplois."
Michel Husson - 13 janvier 2012


En prenant un peu de recul, il est possible d’affirmer que la croissance ne crée pas d’emplois à long terme. Cette proposition apparemment iconoclaste découle du lien étroit qui existe entre la croissance du PIB [produit intérieur brut] et celle de la productivité horaire. La relation fonctionne d’ailleurs dans les deux sens : les gains de productivité sont un moteur de la croissance et une croissance soutenue est à son tour favorable au dégagement de gains de productivité, notamment parce qu’elle accélère le rythme de renouvellement des équipements et favorise l’introduction de nouvelles méthodes de production.
Quoi qu’il en soit la croissance de la productivité horaire suit une trajectoire très proche de celle du PIB. Or, l’emploi dépend de l’évolution relative de ces deux grandeurs : pour connaître le contenu en emploi de la croissance du PIB, il faut défalquer la progression de la productivité horaire. Si le PIB et la productivité horaire augmentent par exemple au même rythme de 5 %, le volume de travail, autrement dit le nombre total d’heures travaillées, n’augmente pas.
Or c’est ce qui tend à se produire sur les soixante dernières années. Il faut cependant distinguer deux périodes homogènes. Entre 1949 et 1974, la croissance du PIB et celle de la productivité horaire se situent à un niveau élevé, de plus de 5 % en moyenne : c’est la période qui correspond à peu près aux « Trente glorieuses » (1945-1975). Après une période de transition encadrée par les récessions de 1974-75 et de 1980-82, la croissance du PIB comme celle de la productivité horaire tendent à se stabiliser autour d’une valeur de 2 % par an qui est d’ailleurs voisine de la moyenne sur très longue période. Entre 1890 et 2008, la croissance du PIB a été de 2,2 % et celle de la productivité horaire de 2,5 %.
Ce passage d’une phase de croissance exceptionnelle à une phase de croissance proche de sa tendance séculaire s’accompagne d’un ralentissement similaire de la productivité horaire.
Mais il se produit avec un décalage : entre 1974 et 1984, la croissance chute à 2,2% par an, mais la productivité horaire progresse à un rythme de 3,3%. C’est ce décalage qui bloque les créations d’emplois et conduit à la montée du taux de chômage. On ne peut donc pas dire que le chômage résulte d’une accélération des gains de productivité ; ceux-ci étaient en effet bien plus élevés au cours de la période de quasi-plein-emploi.
Un examen plus détaillé du bilan de l’emploi montre qu’entre 1949 et 1974, la croissance du PIB a été en moyenne de 5,4 %. Mais, la productivité horaire progressant de 5,7%, le nombre d’heures travaillées n’a pas augmenté au cours de cette période et a même reculé, passant de 45,7 à 42,3 milliards. A durée du travail constante, l’emploi aurait donc dû reculer, et c’est en fait la réduction du temps de travail qui a permis de créer des emplois sur cette période, au rythme de 0,5 % par an, suffisant pour absorber la progression de la population active et donc maintenir le taux de chômage à un niveau de quasi-plein emploi.
Le bilan de la période 1984-2007 n’est pas qualitativement différent. Certes la croissance a nettement ralenti, passant de 5,4 % durant les « Trente glorieuses » à 2,2 %. Mais la productivité du travail a elle aussi reculé, de telle sorte que le volume de travail reste à peu près constant. Le nombre d’heures travaillées augmentant très peu, c’est donc encore une fois la baisse du temps de travail qui permet de créer des emplois, à un rythme annuel de 0,7% qui est paradoxalement plus élevé que durant la période de quasi-plein-emploi.

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