dimanche 15 janvier 2012

Présidentielle J-97 : la campagne vue par Monique et Michel Pinçon-Charlot

Le 13 janvier 2012

Jusqu'au 1er tour de l'élection présidentielle, Télérama.fr publie le journal de campagne collectif de cent personnalités du monde culturel. Aujourd'hui, les sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot.








Le président des riches : un vrai-faux candidat

Le président Nicolas Sarkozy, alors qu’il n’était encore que candidat à l’élection présidentielle de 2007, avait confié qu’il envisageait, en cas de victoire, de se retirer dans un monastère afin de se préparer, dans le calme retrouvé, à la lourde charge qui l’attendait. Cette noble attitude du candidat, possiblement épuisé par une campagne menée tambour battant, augurait d’un assagissement du personnage. Las, aussitôt élu, aussitôt oublié le calme apaisant du cloître. Au lendemain de la victoire et de la fête au Fouquet’s, le jet privé de Bolloré emmena le vainqueur à Malte où était ancré le yacht de cet homme d’affaires. La magnificence devait mieux convenir à l’ambitieux rêvant depuis toujours de « faire président » que la rusticité du recueillement monacal. Ça commençait Malte, comme l’imprimait en titre de une le Canard, et cela continua de même. Dont acte.
Mais le ton était donné. Le candidat allait présider de même, en usant de la même rouerie où les intentions n’engagent à rien, sinon à en annoncer de nouvelles de façon à toujours retenir l’attention par la proclamation de mesures bienvenues mais vite oubliées. Dire le blanc pour mieux peindre en noir. Il en a été ainsi pour la « rupture » claironnée qui fut suivie d’une continuité remarquable dans les avantages accordés aux plus riches. Par exemple avec la quasi suppression en 2007 des droits de succession, saluée positivement d’un bout à l’autre de l’espace social, alors qu’elle ne concernait que les plus riches, les héritages dans les classes moyennes et populaires étant déjà exonérés car situés en dessous du seuil d’imposition.
Autre manœuvre habile, la suppression, en 2011, du bouclier fiscal, devenu un boulet politique, a été présentée comme une mesure de justice sociale puisque celui-ci plafonnait les impôts sur le revenu à 50 % des ressources du foyer fiscal. Les gros contribuables devront donc ouvrir leur portefeuille. Mais, avec une belle concomitance, diverses mesures aménageant l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune), dont la réduction des taux d’imposition du patrimoine, aboutirent à des réductions des impôts payés par les plus riches dont le total est beaucoup plus élevé que les quelques centaines de millions d’euros récupérés par le fisc avec la suppression du bouclier fiscal. Le solde est donc en faveur des plus aisés.
Subrepticement, le président et ses ministres ont plongé les citoyens les plus démunis dans une brume automnale où démêler le vrai du faux relève de l’exploit. D’où un mécontentement diffus, imprécis, difficile à exprimer, une certitude de se faire avoir, mais on ne sait trop comment car l’adversaire est rusé. Ce que nous avons ressenti clairement dans nos interventions publiques, aux quatre coins de France. Des assemblées nombreuses, attentives, nous bombardant de questions : le président, et les officines de communication qui le conseillent, s’y entendent pour brouiller les cartes et rendre difficile le décryptage d’actions à double sens, s’annulant l’une l’autre.
L’ambiguïté est aujourd'hui à un niveau machiavélique. Le président n’est pas candidat. On ne peut pas dire qu’il ne l’est pas encore, on ne peut pas affirmer en toute certitude qu’il le sera. Ce vague est diabolique. Il permet de mettre en valeur l’activité du président comme autant de gages donnés pour l’avenir. C’est un (presque) candidat qui soutient la création d’une coopérative ouvrière pour la reprise de Seafrance. C’est un (presque) candidat qui, envers et contre tout, affirme vouloir mettre en œuvre une nouvelle taxe qui aurait beaucoup à voir avec celle prônée par James Tobin. La première initiative s’est heurtée à la réticence syndicale, la seconde affronte la mauvaise volonté allemande et l’exigence des pays européens d’avoir leur mot à dire sur le sujet. Encore une fois, deux mesures dont le président peut espérer qu’elles amélioreront son image dans les milieux populaires. Le chef de l’Etat n’est pas candidat mais bel et bien en campagne et ses décisions doivent se lire en prenant acte de l’accueil que les différentes fractions de l’électorat pourront lui accorder. Cette ambiguïté se retrouve aussi dans la mobilité remarquable de Nicolas Sarkozy qui sillonne la France en tous sens. Une bonne manière d’économiser les frais de campagne tout en portant la bonne parole aux quatre coins de l’hexagone. Cette prime au sortant incite évidemment à se déclarer le plus tard possible, afin que les caisses de l’Etat continuent à assurer la logistique des expéditions présidentielles. Le président n’est pas encore candidat, mais la campagne est bien avancée, aux frais du contribuable.
Cette campagne, qui n’en est pas une puisqu’il n’y a pas de candidat pour la mener, se développe dans une certaine confusion. Voulue, délibérée, car à être trop clair on risque de se faire comprendre, ce qui n’est pas exactement le but recherché. Prenons l’exemple de ce charmant oxymore de TVA sociale. Rien de moins social que la TVA : un impôt inique, puisque s’appliquant à tous, quel que soit le revenu, un impôt d’ailleurs contraire à la Constitution qui affirme dans son préambule qui chaque citoyen doit contribuer aux ressources de l’Etat dans la mesure de ses moyens. Ni en dessous, ni au-dessus. Mais l’oxymore fait passer la pilule : cette taxe sera bonne pour le peuple puisqu’elle sera sociale. En tout cas ce n’est pas dans l’annonce de la bonne nouvelle au journal télévisé que le contribuable pourra prendre conscience de l’étrangeté de cette taxe non redistributive à vocation quasi caritative. Ce prêt-à-penser va occulter le nouveau cadeau ainsi fait au riche qui, étant mis à contribution aux mêmes taux que sa concierge ou son chauffeur, paraîtra participer dans une égalité indéniablement républicaine aux besoins de la Nation.
Cet étrange usage de la langue française à qui l’on fait dire tout et son contraire en accolant deux termes antinomiques est bien à même de produire un brouillard tétanisant, forme de violence symbolique insidieuse puisque tout le monde y est soumis, mais sans les mêmes ressources pour tenter de faire un peu de lumière. Drôle de langage où les chômeurs deviennent des assistés et les spéculateurs des investisseurs. Une manière de tenir en respect les travailleurs et de saluer comme il se doit les nouveaux dieux que sont les financiers.
Mais le passage de la présidence immaculée à la candidature qui a les pieds dans la boue mettra en évidence que Nicolas Sarkozy est peut-être le plus roué de tous mais que son secret était celui de Polichinelle.

Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot. Sociologues, anciens directeurs de recherche au CNRS, ils ont publié de nombreux ouvrages sur les familles fortunées, dont Grandes fortunes (Petite bibliothèque Payot, 2006) ; Les Ghettos du gotha (Seuil, Point, 2010) et Le Président des riches. Enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy (La Découverte, poche, 2011).

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