dimanche 15 avril 2012

Les petits graphiques de monsieur Lenglet et autres détournements de la démocratie


Cette semaine, comme des millions d’autres sans doute, j’ai regardé les deux émissions de “Des Paroles et Des actes”, où le larbin® Pujadas et ses valets interrogeaient les dix candidats à la présidence de la République.
Je ne souhaite pas revenir dans le détail des interventions de chacun, qui a déjà largement été fait dans la presse par des gens payés pour ça, et qui ont donc plus de temps que moi.
On peut simplement dire que seul Poutou a crevé l’écran, que Mélenchon et Cheminade, chacun dans leur genre, ont été très bons. Même si Cheminade est aussi bon en finance qu’il est un scientiste aveugle, un peu comme Claude Allègre. Qu’Eva Joly va faire un score indigne de ses qualités. Ses attaques contre ce grand délinquant financier de Sarkozy sont courageuses. EELV ne la mérite pas. Que Hollande et Bayrou ont été égaux à eux-mêmes : Hollande a été lisse, gérant tranquillement son énorme avance sans donner prise à une critique exagérée ; Bayrou toujours aussi chiant, aussi prévisible qu’une “vierge à l’enfant” poussiéreuse dans une vieille église béarnaise. Que Dupont-Aignan, qui a pourtant de bien meilleures idées que Bayrou, n’arrive pas à convaincre. Que Le Pen ou Arthaud, même s’ils sont bons sur certains sujets (j’y reviendrai) transpirent la haine et la hargne. Et que le pire de tous a été de loin Sarkozy, ce que tout le monde a pu constater, sauf à avoir les œillères d’un “jeune pop”.
Non, je voulais plutôt détailler la mécanique infernale qui permet, sous des apparences de démocratie, de totalement la dévoyer.
Résumons la situation : nous sommes à huit jours du premier tour, et les jeux sont déjà faits depuis longtemps ! Sauf Trafalgar certes toujours possible, on sait que le premier tour sacrera Hollande et Sarkozy (dans quel ordre on ne sait pas et à vrai dire on s’en fout un peu…) et qu’au second Hollande écrasera Sarkozy. C’est écrit, et il en sera ainsi.
Ah oui, mais enfin, on n’a pas encore voté ? C’est tout de même l’électeur qui décide, hein, dans l’isoloir personne ne m’oblige à mettre tel ou tel bulletin dans l’enveloppe !
C’est effectivement l’illusion savamment entretenue.
Pourtant, à y regarder de plus près, ce n’est pas si simple.
Comparons par exemple à une compétition visant à désigner le mec qui court le plus vite. Ça existe, d’ailleurs. Tu mets les gars derrière une ligne de départ, tu leur donnes le signal, ils courent comme des abrutis, et le premier qui franchit la ligne a gagné. Tu présélectionnes sur des résultats chronométrés, et seuls les meilleurs sont en finale. Bien sûr le résultat peut être biaisé par le dopage ou par un gars qui fait exprès de perdre parce qu’une société de paris en ligne située à Malte et appartenant à un pote de Sarko le paie pour ça. Mais à part ces petits désagréments, il peut y avoir autant de commentaires dans la presse spécialisée, autant de reportages sur l’entraînement de machin ou la dernière compétition de bidule, il peut y avoir autant de sondages ou de paris en ligne que tu veux, ce sont les meilleurs qui se retrouvent sur la ligne de départ, et c’est celui qui courra le plus vite qui gagnera à l’arrivée.
Les élections, ça n’a rien à voir. Rien du tout. D’abord, si on devait désigner objectivement les deux personnes les plus aptes à présider la France parmi 45 millions (à vue de nez) d’éligibles, qui peut croire que c’est Hollande et Sarkozy qui seraient choisis ? C’est ridicule.
Pour avoir une chance d’être élu, il faut être un politicard professionnel, appartenir à un puissant parti politique, avoir grenouillé à tous les postes du pouvoir pendant des décennies, et être soutenu par “la main invisible du marché”, et ses agents que sont les médias, qui seuls permettent d’accéder à la notoriété.
La vérité elle est là : ce sont les médias qui votent à votre place. Ce sont eux qui vous disent qui vous connaîtrez ou qui vous ignorerez. Qui est sérieux et qui ne l’est pas. Très peu de gens votent en lisant des programmes qui ne sont de toute façon que des catalogues publicitaires. On vote en se fiant à son intuition, et celle ci peut être d’une pertinence très variable en fonction notamment de sa culture politique. Et certains candidats sont très forts pour brouiller les pistes et réussir à faire voter pour eux des électeurs qui n’y ont pourtant aucun intérêt.
Par exemple je comprends très bien qu’on puisse voter Sarkozy. Si on se moque totalement de son bilan désastreux, son comportement insupportable, si on est par exemple notaire ou pharmacien avec un gros patrimoine que l’on cherche à faire fructifier et à faire échapper à l’impôt, et si on ne s’intéresse qu’à sa gueule en se foutant comme d’une guigne du sort des plus défavorisés de la population ; alors il est effectivement compréhensible de voter Sarkozy. Mais vous en conviendrez, ça risque d’être numériquement très insuffisant pour qu’il soit élu.
Par contre, si on est jeune sans grande qualification, intérimaire au chômage, et qu’on vote Sarkozy, parce qu’on a été hypnotisé par son baratin de créateur d’emploi, de sauveur d’Europe ou de protecteur des faibles contre les délinquants basanés et les fraudeurs sociaux (basanés aussi, forcément), on est le prototype du crocodile qui va voter pour le maroquinier, et même tenter de faire en sorte que ses camarades crocos fassent de même. Et ceux-là sont plus nombreux que les pharmaciens replets.
Pour se présenter, il faut être adoubé par 500 maires de France. Exercice très difficile, qui ne peut être réussi que par un tout petit nombre. Surtout lorsque les dirigeants des grands partis interdisent à leurs adhérents de donner leur signature à d’autres qu’eux. Seuls les représentants déjà connus de partis politiques peuvent passer l’obstacle. Combien de recalés avaient un projet original ou intéressant ? On ne le saura jamais.
Et si d’aventure un Cheminade passait l’obstacle, on ne sait trop comment, les médias sauraient s’occuper de lui
Reprenons. Nous avons 10 candidats. Un peu comme dans une course à pied. Sauf que derrière la ligne de départ, ceux-là ne sont pas tous égaux, loin de là !
Dans les dernières semaines avant l’élection, des règles à peu près strictes sont mises en place pour garantir une égalité parfaite de temps de parole entre les candidats. Fort bien, même si de nombreux médias le déplorent !
Mais avant ? C’est simple, ça fait 5 ans que Sarkozy envahit écrans, radios et papier pour faire parler de lui, en bien ou en mal. Hollande, ça fait un an qu’il a été adoubé par la presse comme son concurrent le plus sérieux. Bayrou est un éternel outsider qui ne ressort que tous les 5 ans, Marine Le Pen est là pour troubler le jeu et pimenter la campagne, et cette année, Mélenchon a réussi à s’inviter dans le deuxième peloton. Ces cinq-là, tout le monde ou presque les connaît. Eva Joly est un peu connue aussi, mais il a été décidé qu’elle était ridicule. Dupont-Aignan et Arthaud, seuls les initiés connaissent, Poutou est inconnu, et Cheminade je n’en parle même pas.
En jouant sur leur seule notoriété, les médias font un tri des candidats en 3 catégories : les petits, les moyens, et les grands. La règle, c’est que seuls les grands peuvent gagner. Et même si Mélenchon l’a fait grâce à son talent (et parce qu’il n’a pas été jugé dangereux par les donneurs d’ordres des médias), il est très difficile de changer de catégorie.
Dans une course à pied, la notoriété n’intervient pas. Dans la présidentielle, c’est la chose la plus importante
Si on avait appliqué à Poutou le même traitement médiatique qu’à Hollande ou à Sarkozy, il serait peut-être lui aussi à plus de 20% dans les sondages truqués…
Tiens, parlons-en des sondages. D’abord pour noter que les instituts qui les réalisent sont pour la plupart proches des milieux de l’argent et (ce qui n’est pas incompatible, bien au contraire) des amis de Sarkozy… Ils ont la possibilité de “redresser” (comprendre “bidouiller”) les données brutes des résultats qu’ils récoltent sans devoir l’expliquer à qui que ce soit. Entre le pifomètre et la corruption, tout est possible. Un indice peut mettre la puce à l’oreille : il y a peu, certains sondeurs mettaient non seulement Sarkozy en tête au premier tour, mais avec 30% des suffrages, tout proche des 31 de son score de 2007. Qui peut croire des balivernes pareilles ? Il suffit de discuter autour de soi (et pas seulement dans le petit milieu de la blogo-twittosphère de gauche, je parle des “vrais gens”, de votre boulot, de vos voisins, de vos connaissances, de votre famille…) pour constater que plus personne ne peut le voir en peinture et que ces 30% sont simplement impossibles.
L’intérêt du bidonnage, c’est que les sondages, c’est un peu comme le fameux “Top 50” : un système de prophétie autoréalisatrice. Si ces sondages avaient donné depuis un an Cheminade à 25 ou 30% au premier tour, pensez-vous qu’il aurait fait 0 à l’arrivée ? Invité dans tous les médias, respecté, on aurait pu en faire un candidat convenable. Ne pas lui demander de comparer Obama et Hitler ou de parler des Martiens, mais lui demander comment il compte faire baisser le chômage ou la délinquance.
Ehontément rehausser le score de Sarkozy, cela lui assure quelques points de plus. Et accessoirement, cela maintient un semblant de suspense frelaté, gage de vente de journaux et (surtout) de publicité.
S’y ajoutent les commentaires des journalistes dominants, les seuls habilités à interroger les candidats. Les nouveaux chiens de garde. Les Pujadas, Chazal, Ferrari, Chabot, Elkabbach, Aphatie, Nay, Duhamel, Mougeotte, Joffrin, Barbier, Denisot et j’en oublie. Par leur omniprésence médiatique et leurs commentaires centrés sur l’aptitude de tel ou tel à se conformer à la doxa libérale, ils orientent l’opinion de l’électeur aussi sûrement que les barrières qui conduisent les bœufs à l’abattoir.
Non non, je n’ai pas oublié Franz Olivier Giesbert dans la liste. Son numéro de fin d’émission restera dans les mémoires, dans un genre différent mais au même titre que la couverture de l’affaire Mérah par les chaînes d’info, comme l’un des moments les plus sombres de toute la mémoire du “journalisme”. Ce grand bourgeois, qui s’honore de se goberger à la table des puissants prétend ainsi mieux les connaître, et ne comprend pas que celui puisse poser le moindre problème de distance par rapport à son sujet. La fortune qu’il retire de son métier lui ôte bien évidemment tout sens critique. Et pourtant ce jeudi soir, il s’est débarrassé de tout scrupule, de toute retenue, pour offrir un spectacle répugnant, tartiné de morgue et de mépris pour tous ceux qui oseraient contester l’évidence du duel des deux clones que sont Hollande et Sarkozy. Ces mœurs me répugnent habituellement mais si par extraordinaire FOG devait être tondu le 6 mai au soir à la Bastille, je ne suis pas certain de pouvoir réprimer un sourire mauvais.
Grâce à cette influence, les “grands candidats” peuvent aussi imposer leurs désirs aux médias. C’est ainsi qu’il n’y aura pas de débat entre les candidats avant le premier tour. L’émission a consisté en une espèce de défilé où tous ont débité leur bréviaire à la queue-leu-leu.
On comprend évidemment qu’il s’agit de préserver les favoris désignés, qui n’ont que des coups à prendre. Surtout pas prendre le risque d’être amené hors des sentiers battus par un de ces “petits candidats” mal élevés qui ne comprennent rien aux codes, comme par exemple cette “norvégienne d’apparence française” avec ses lunettes rouges, devenues vertes…
Malgré tout, cette organisation a l’avantage inédit depuis cinq ans de remettre chacun à égalité, le temps de deux soirées. Sarkozy, qui d’ordinaire parade devant une cour apeurée dans une émission sur mesure dans laquelle il peut à l’abri de toute surprise raconter ses bobards sur plusieurs chaînes pendant deux heures devant des millions de téléspectateurs, s’est ici trouvé coincé entre Cheminade et Arthaud. Quinze minutes, pas une de plus, lui qui a tant l’habitude d’obtenir tout le rab qu’il souhaite.
Autant le dire tout net, si on ne doit retenir qu’une chose de cette émission, c’est bien le naufrage de Sarkozy et la victoire parallèle de Hollande. Des journalistes curieusement décomplexés, qui ont compris que Sarko était bien fini, se sont permis de lui mordre les mollets comme à n’importe quel manant. Incrédule, Sarkozy, si appliqué depuis un an ou deux à mettre en avant sa maîtrise et sa stature (arf) présidentielle, n’a pu que gesticuler, éructer et s’énerver comme le mauvais candidat qu’il est. Placé face à son bilan apocalyptique, il est de plus sommé de répondre aux attaques d’Eva Joly… Il n’a pu faire mieux que du sous-Giscard dans l’affaire des diam’s, opposer un démenti “catégorique et méprisant”.
Il est important de rappeler que la clique sarkozyste (Copé, Woerth, Takieddine, Hortefeux, Guéant…) est accusée de financement frauduleux de la campagne de Balladur en 1995, ce qui a conduit à l’attentat de Karachi (14 morts) ; de financement par Kadhafi de sa campagne de 2007 ; de fraude fiscale et de financement frauduleux par les enveloppes de Bettencourt, et de financement douteux de son appartement de Neuilly. Rien que ça ! On dirait du Chirac ou du Tapie de la grande époque. Avec donc 14 morts en plus…

Dans l’émission de Pujadas, il y a une séquence qui me hérisse particulièrement : celle de la leçon d’économie libérale infligée par le professeur Lenglet.
Lenglet n’est évidemment pas professeur. [EDIT 15/04 pan sur le bec ! On me chuchote dans l’oreillette qu’il fut jadis prof de français… Cela explique qu’il fasse toujours comme s’il avait des élèves devant lui]  Il est journaliste économique, ce métier de charlatans, de perroquets toujours intarissables quand il s’agit de commenter le passé, mais incapables de prédire l’avenir, ce qui ne les empêche pas de reprendre en boucle les mantras libéraux “il faut diminuer les déficits publics, il faut baisser le coût du travail, il faut que la France soit concurrentielle par rapport à la Chine…”.
Lenglet est directeur de la chaîne de télé “BFM Business” (rien que le nom m’amuse), après avoir usé ses costards dans tous les torche-cul de “journaux économiques” que la France a pu compter : “L’expansion”, “Les Echos”, “La Tribune”… Ces magazines de propagande patronale et financière, qui ne s’intéressent qu’à la Bourse, aux résultats des entreprises, et aux stratégies qu’elles mettent en œuvre pour les améliorer et faire la guerre à leurs concurrents. Un prisme particulièrement réducteur qui glorifie patrons et actionnaires, tout en ignorant et en méprisant les gueux qui font pourtant tourner l’économie.
Lenglet a développé un gimmick insupportable, mais qui semble plaire : il se travestit en professeur, et montre à ses élèves des graphiques de son cru qu’il leur demande de commenter, n’hésitant pas à leur taper sur les doigts si la réponse ne lui sied point.
Ce procédé est particulièrement pervers. Dans l’inconscient, le professeur représente l’autorité, et il détient forcément la vérité qu’il tente d’enseigner à son élève dévoué. Les graphiques rajoutent encore à cette autorité. Si c’est écrit et dessiné ainsi, c’est forcément vrai.
Or un graphique n’est que la représentation imagée de chiffres. Et les chiffres, malgré tout le respect que mon caractère cartésien leur porte, ça peut être tout ou n’importe quoi. Si le chiffre est faux, le graphique l’est tout autant. Ainsi, les chiffres du chômage sont complètement sous-estimés par des procédés lamentables, toute courbe représentant ces chiffres sera donc nulle et non avenue.
Il arrive aussi que le problème soit complexe, et qu’il faille fouiller pour trouver les bons chiffres. C’est ce qui est arrivé à Lenglet jeudi soir face à Philippe Poutou (rencontre improbable que Thomas Legrand a idéalement décrite le lendemain matin sur France Inter comme celle de “Lady Gaga avec Benoît XVI“…)
Et même si les chiffres sont justes, rien que le fait d’employer certains et pas d’autres permet encore de pervertir la représentation d’une situation. Il en est d’incontestables (2+2=4, l’accélération d’un corps en chute libre dans le vide est de 9.81m/s2, la charge électrique d’un électron est de 1.6x10-19 coulomb, la vitesse indépassable d’une particule est celle de la lumière, soit un peu moins de 300000 km/s… etc)
Au contraire, si on veut mettre en avant le côté positif de notre économie capitaliste et libérale, on peut dessiner le graphique de la fortune de Monsieur Arnault ou de Madame Bettencourt, le patrimoine de Monsieur Sarkozy, ou encore le bonus de Monsieur Levy (PDG de Publicis). Mais si pour décrire la même situation, on fait des histogrammes avec les (vrais) chiffres du chômage, les repas aux restos du cœur, le nombre de foyers qui vivent sous le seuil de pauvreté, le nombre de morts dans la rue, de suicides au travail…etc… Il est à craindre que l’impression ne soit pas exactement la même.
Lenglet, lui, se moque de contingences aussi basses. Il se complaît dans les hautes sphères un peu abstraites de la macroéconomie. Et surtout il a choisi son camp, et délivre aux candidats un brevet de soumission aux dogmes libéraux.
Et lorsqu’il sort de ses graphiques pour argumenter comme il l’a fait hier contre Marine Le Pen, on touche à l’abjection, à la pure saloperie.
Je ne suis pas suspect d’admiration à l’égard de Marine Le Pen. Son programme n’est que l’agrégation improbable et incohérente de la haine xénophobe avec toutes les protestations populaires, en suivant l’air du temps, quitte à dire le contraire de ce qu’elle disait quelques années avant. En économie, beaucoup n’y ont vu que du feu, mais on est passé en quelques années du libéralisme reagano-thatchérien à du quasi gauchisme. Bien fol qui s’y fie ! Bref.
Marine Le Pen a été dans cette émission la seule, avec Cheminade, à évoquer clairement la rupture de 1973 et l’empêchement de la Banque de France d’émettre de la monnaie, qui conduit les états à se livrer pieds et poings liés aux banksters.
[Sur Twitter, on m’a reproché de ne pas signaler que Mélenchon et Dupont-Aignan disent la même chose. Oui, mais sur Twitter on n’a que 140 caractères, et je ne parlais que de l’émission “Des Paroles et des actes”, où Mélenchon a bien évoqué la possibilité par la BCE de prêter aux États à 0%, mais n’a rien dit des 1700 milliards du boulet que l’on traîne. Dans son programme, il propose de l’auditer, ce qui est bien le moins.]
Marine Le Pen, sortie de ses habituelles vindictes contre les zétrangers, les zimmigrés, les zassistés, avait décidé de parler de la dette, de son caractère indu, et de la part des intérêts indûment payés aux banksters depuis 1973. Elle affirme que sur les 1700 milliards de la dette française actuelle (600 milliards de plus lors du quinquennat de Sarkozy, on ne le rappellera jamais assez) 1400 milliards représenteraient les seuls intérêts payés aux banksters depuis l’interdiction faite aux banques centrales nationales de créer de la monnaie.
Ce point devrait à mon sens être une des clés de la campagne. Il ne l’est évidemment pas, on préfère parler de Halal et de permis de conduire, ça fait moins mal à la tête.
Parler de la loi de 1973 à Lenglet, ça lui fait un peu le même effet que lorsque la reine d’Angleterre trouve un caca d’oiseau dans son assiette à dessert®. Il se braque, et crache tout son mépris en répliquant que les seuls pays qui ont gardé un tel système sont l’Iran, Cuba et le Venezuela (qui sont autant de gros mots dans la bouche de tous les Lenglet du monde)
Là où il n’a rien compris, à moins qu’il fasse semblant de ne rien comprendre, c’est qu’il ne s’agit absolument pas de “planche à billets”, comme le font outrageusement les Etats-Unis (ou le Zimbabwe, le pays où l’inflation a atteint des niveaux stratosphériques, genre 10 millions de % par an !). Je l’ai déjà écrit plusieurs fois, mais je préfère répéter. Quelle différence y-a-t-il entre un emprunt fait à un bankster privé à des taux allant de 2 à plus de 30% et un emprunt à un taux proche de 0 fait à une banque centrale ? Et ceci naturellement si l’emprunt est remboursé ?
La planche à billets, ça consiste à tout payer en monnaie de singe. Imaginez que vous alliez au premier garage Ferrari venu, que le vendeur vous demande 200 000 euros, que vous sortiez votre imprimante de poche et lui disiez “Attends, je les imprime”. Voilà ce qu’est la planche à billets.
En l’occurrence, il ne s’agit pas du tout de ça ! Il s’agit pour une banque centrale d’imprimer les billets (ou plutôt de créer informatiquement une ligne de crédit). Actuellement, elle donne cet argent à une banque privée qui vous fait signer un contrat selon lequel vous devez les rendre à telle échéance avec force intérêts. Ce qu’il faudrait faire, c’est court-circuiter la banque privée parasitaire, et signer le contrat directement avec la Banque Centrale, avec le cas échéant quelques intérêts pour payer les fonctionnaires qui y travaillent. Alors qu’avec la banque privée, vous devez parfois rendre considérablement plus que vous n’avez emprunté. Dans les deux cas, une fois l’argent restitué, il est virtuellement détruit. Pas d’inflation.

Tu entends, Lenglet ? Pas d’inflation.

Et ce que dit Marine Le Pen, ce que le Front de Gauche a également dit ici ou là, c’est que le montant de la dette française actuelle, 1700 milliards d’euros, est du même ordre que le montant total des intérêts payés aux banksters. En d’autre termes, cette prétendue “dette” que les banksters nous réclament de manière de plus en plus menaçante, n’est que le fruit d’un acte de trahison de la part de nos politiciens depuis près de 40 ans. De tous ceux qui ont exercé le pouvoir, de tous ceux qui ont voté les traités européens, qu’ils fussent de droite ou de “Gauche”.
1700 milliards, c’est 68000 euros par ménage français. Imaginez qu’un beau matin le RAID défonce votre porte et vous somme de remettre à Monsieur Lloyd Blankfein, PDG de Goldman Sachs (qui a empoché plus de 16 millions de dollars en 2011 ou à un de ses collègues et vous réclame 68000 euros ! Eh bien c’est en gros ce qui va se passer, sauf que vous êtes sans doute trop pauvre pour donner 68000 euros comme ça d’un coup… Alors c’est pas grave, on va changer vos lois, et les 68000 euros, on va vous les reprendre “à la grecque” en impôts, taxes, baisses de salaires, baisses de prestations sociales, baisses d’indemnités chômage, suppression de fonctionnaires et de services publics…
Tant pis, je vais, une fois n’est pas coutume, dire du bien de Marine Le Pen. Mais son allégorie sous forme de casse tête pour expliquer que pour trouver une solution à un problème insoluble, il faut parfois sortir du cadre, du carcan idéologique ou économique qu’on s’impose ou se laisse imposer, était tout simplement parfaite. Je l’ai d’ailleurs dit plusieurs fois.

“Ah, mais non ! Ca va pas se passer comme ça ! Je vais voter pour un mec de Gauche, et il ne se laissera pas faire !”

T’as qu’à croire ! Déjà, comme je l’ai expliqué, le système électoral est biaisé pour que seuls ceux qui ne changeront rien aient une chance d’être élus. Et si jamais le suffrage universel accouchait d’un coucou assez fou pour prétendre s’échapper du carcan, on le remplacerait vite fait, dans un mépris total de toute démocratie, et sur l’air de TINA, par un cyborg à l’ADN de bankster, comme cela s’est fait en Grèce avec Papademos et en Italie avec Monti.
Et puis, en quoi François Hollande serait-il “de Gauche” ? La question vaut bien sûr pour d’autres, comme Jospin… Socrates au Portugal, Zapatero en Espagne, Blair puis Brown en Grande Bretagne, Schroeder en Allemagne, Prodi en Italie, Papandreou en Grèce… Parce qu’il l’ont dit ? Parce qu’ils appartiennent à un parti plus ou moins “socialiste” qui se réclame de la gauche ?
Hollande n’a pas encore gouverné. Mais tous les autres se sont distingués par une soumission totale à toutes les règles ultralibérales, à la finance internationale, au capitalisme sans frontières. Tous. Tous ont appliqué les diktats libéraux, à commencer par la “baisse de la dépense publique” ou l’ouverture des frontières aux marchandises et aux capitaux. Tous. Tous ont appauvri leurs peuples et enrichi une poignée de requins qui tirent les ficelles du système et doivent bien se marrer en allant voir ces braves gens aller mettre un bulletin dans l’urne.
Dans son dernier film  (que vous pouvez comme je l’ai fait financer de quelques euros, puisqu’il est ignoré de tous les médias), l’indispensable Pierre Carles revient sur le sujet de ce billet, la construction du duel Sarko/Hollande, et en particulier de la candidature “socialiste”, notant que Hollande sort du même moule (HEC/ Sciences Po) que DSK, qu’il a remplacé au pied levé.
Hollande a dû aller rassurer la City sur le fait qu’il était beaucoup moins de gauche qu’il ne voulait le faire croire, et que ces braves gens n’avaient donc rien à craindre de lui.
Plus significatif encore, ce scoop donné vendredi par un journaliste américain sur France Inter, selon lequel Hollande inquiétait l’administration américaine, notamment à cause de la montée de Mélenchon et de la présence possible de ministres communistes dans le futur gouvernement français. (Les communistes sont en effet connus depuis les années 1980 par leur motivation à servir de faire-valoir dans des gouvernements libéraux.) Le journaliste raconte alors que pour rassurer les amerloques, Moscovici (futur premier ministre ou des affaires étrangères ?) et Le Drian (futur ministre de la défense) ont dû aller eux aussi expliquer qu’ils n’avaient pas la moindre intention de changer l’ordre établi.
Dès le lundi 7 mai, la finance internationale va prendre contact avec Hollande, tapoter sur sa montre d’un air agacé, et lui dire : “bon, qu’est-ce que tu comptes supprimer ou privatiser pour tenir notre calendrier de remboursement de ta dette, là ?”. Lui va rosir comme il le fait si bien, bredouiller un peu, et répondre “oui oui, tout de suite, naturellement”…
Avant d’aller nous expliquer qu’il ne peut pas faire ceci ou ça, et qu’en revanche il est navré de devoir faire ceci ou ça, mais c’est la crise, n’est-ce pas, c’est la faute à Sarkozy, et puis on n’a pas le choix… etc… etc”. Et ça va durer cinq ans…
J’ai fait long, il est temps de conclure.
A mon sens, il y avait quatre enjeux majeurs à cette élection :

1) Une urgence institutionnelle.

Cela passe par ce qu’on appelle de manière générique par une “sixième République”, une assemblée constituante idéalement tirée au sort (selon les préceptes d’Etienne Chouard), et dont le but serait de rendre le pouvoir au peuple et d’empêcher qu’une clique arrogante, omnipotente et corrompue ne confisque le pouvoir. C’est le point le plus important, car sans lui, aucun des autres n’est possible.

2) Une urgence financière.

Auditer la dette, et en refuser la partie indue, qui en constitue sans doute la quasi totalité. Cela permettrait rapidement de remettre le budget du pays à flot, et de nous rendre les Services Publics qu’on nous a volés, avant de mettre en place des mesures novatrices (Salaire maximum, fiscalité juste, revenu inconditionnel…)

2bis) Une urgence écologique.

En plus du réchauffement climatique et de la pollution, l’arrivée du “Peak Everything”, confirmée par la dernière étude du “Club de Rome” (j’y reviendrai en détail un autre jour) promettent le chaos total sur terre vers 2030. Cela ne nous laisse plus guère de temps pour révolutionner totalement notre mode de vie. Il en va de la survie de l’espèce humaine. Rien que ça.

2ter) Une urgence sociale.

Ça, tout le monde en est conscient. Certains, comme Arlette Laguiller Nathalie Arthaud, ne parlent que de ça, oubliant tout le reste. C’est pourtant à Lutte Ouvrière que j’emprunte cet exemple qui en dit long, la grève des esclaves du Campanile de Suresnes : tout est résumé là-dedans. Alors qu’une structure utile comme un hôtel devrait pouvoir faire vivre honnêtement des dizaines de personnes, ce sont les seuls actionnaires de la chaîne, gras comme des loukoums avec leur costard, leur fauteuil en cuir et leurs gros cigares, qui pompent la totalité des richesses générées. Ce sont les mêmes qui réclament (et obtiennent) des “baisses de charges” pour leurs entreprises d’exploitation, et des baisses d’impôts pour leur fortune personnelle. Pendant que des esclaves “musulmanes d’apparence” se cassent le dos et les genoux, payées en dessous du SMIC (mais comment est-ce possible, merde !) sans pouvoir vivre décemment, tout en se faisant traiter d’assistées, de feignasses, et de bouffeuses de viande Halal par les hordes xénophobes des Sarkozy et Le Pen. Vie de merde.

Je confirme donc mon choix d’aller voter Mélenchon le 22. Non seulement c’est le plus talentueux (et de très loin), mais c’est le seul à avoir un programme sérieux et cohérent (qui prend en compte une bonne partie des remarques faites ici), et la possibilité de faire un score honorable susceptible de propager ses idées après l’élection. Ceci n’empêche pas de nombreuses zones d’ombre, de nombreux doutes, qui ne seront levés que le jour il aura le pouvoir, à l’épreuve du feu, face aux banksters. Et déjà dans son attitude entre les deux tours.
Au second tour ? Malgré l’enthousiasme un peu surfait des mélenchonnistes à ce sujet, malgré le probable surgonflage des sondages de Sarko, il est peu probable que nous échappions au duel annoncé. Dans l’état actuel des choses, mêmes les amis sondeurs du nain ne peuvent plus cacher l’ampleur inédite (si on excepte 2002) de la berezina qui l’attend. Dans ces conditions, je ne vois pas au nom de quel renoncement je m’abaisserais à aller déposer dans l’urne le 6 mai le bulletin de quelqu’un dont on n’a strictement rien à attendre, et dont on est au contraire certains qu’il va trahir avec le cynisme le plus absolu tous les idéaux de Gauche.
Si jamais le nain nous sortait de son costard un coup de Jarnac d’entre deux tours, une manœuvre improbable autant que désespérée qu’il réserve au cas où il n’ait plus aucune autre chance de s’en tirer, et que cette manœuvre portait ses fruits, je pourrais encore sortir ma pince à linge et mes gants pour me servir du bulletin Hollande comme d’un désherbant systémique ou d’une chimiothérapie, le genre de truc dangereux que l’on n’utilise qu’en ultime recours, quand tout le reste a échoué, en étant parfaitement conscient des dégâts qu’il provoque.

Source: Blog: SuperNo

1 commentaire:

M. E. a dit…

Pour Hollande :

"- BURE : c'est encore un labo !
- c'est moi qui décide ! (je n'ai que faire des accords PS-EE-LV)"

http://dai.ly/IcnAgT