Le confort illusoire de l’ordre ancien

Les foules idolâtres du maréchal Pétain — à qui Badiou compara Sarkozy — ne furent pas véritablement piégées par le discours poussiéreux du “vainqueur de Verdun”. Ils s’y abandonnèrent en pensant échapper à bon compte aux affres de l’occupation nazie.
En 2007, les électeurs de Sarkozy — qui tenait un discours de même nature : les valeurs nationales, la restauration de l’ordre ancien protecteur, la stigmatisation de “l’étranger”, des intellectuels, des nomades… — savaient parfaitement de quoi le personnage retournait, mais préféraient faire mine de l’ignorer pour les mêmes raisons. Le « pétainisme transcendantal » dénoncé par Badiou.
Mais la gauche parlementaire, alors ? Badiou n’est guère tendre avec celle-ci :
« Une élévation de l’impuissance complice au statut d’Idée. »
Ce groupe de « gardiens intérimaires » n’entre en scène que lorsque les « gardiens titulaires de droite ont des difficultés à maintenir l’ordre et la continuité du semblant ». Bref, une pâle équipe B pour pallier les défaillances aléatoires de l’équipe A.

Majorité des rues et majorité des urnes

En réalité, constate Badiou, rien d’acceptable, rien de créateur pour l’existence réelle des citoyens — les plus précarisés, travailleurs ou non, en premier chef — ne ressortit jamais des urnes. Mais n’est-ce pas les serfs qui jadis criaient avec le plus d’entrain « vive notre bon Roi ! » ?
Les grandes révolutions, les grandes avancées sociales ne naquirent jamais que de la rue. Le fade gouvernement de Léon Blum ne devint le Front populaire que sous la pression des grandes grèves ouvrières de 1936.
En mai 68, la génération des “soixante-huitards”, à l’origine de tant d’acquis sociaux, féministes, moraux, éducatifs, ne fut guère majoritaire qu’un petit mois, dans la rue. Dès juin suivant, la “majorité silencieuse” s’empressa de redonner une écrasante majorité parlementaire aux conservateurs de droite.
Les révolutions arabes débouchèrent électoralement sur de régressifs pouvoirs islamistes qui n’étaient en rien à son origine. Et plus récemment, la génération Front de gauche ne fut guère majoritaire qu’à la Bastille, sur la place du Capitole de Toulouse ou sur la plage du Prado à Marseille.
Faut-il alors désespérer de la démocratie et de ses pusillanimes “majorités populaires” ? Alain Badiou ne vote plus depuis 1968. J’ai pour ma part adopté une position intermédiaire : ne plus céder à la tentation stérile du “vote utile” et ne choisir, même sans illusion, que selon ses convictions. Ou s’abstenir.
Pour le reste, lorgner sans cesse du côté de la rue et ne pas rater l’occasion quand d’aventure la démocratie y descend.