lundi 31 janvier 2022

« Il n’est plus question de science aujourd’hui, mais d’obéissance », 

tacle le Pr. Raoult. Source; Sputnok le30/01/2022.

 


Deux ans tout juste après l’apparition du Covid-19 dans nos vies, le professeur Raoult dresse un bilan sans concession. Qu’a-t-il lui-même appris de cette pandémie ? Croyance infondée sur les vaccins, variants plus ou moins létaux, restrictions sanitaires et espoir de sortie de crise : celui qui a été adulé puis enfoncé en l’espace de quelques mois n’élude aucun sujet. Plus que jamais sans filtre, le directeur de l’IHU Méditerranée Infection organise sa riposte.

 Alerte Disparition !!!!



dimanche 30 janvier 2022


 Gréve des camionneurs Canadiens.


Les révélations du Professeur TOUBIANA

Le  Professeur TOUBIANA nous montre l'impact du Covid par rapport à d'autres épidémies et c'est surprenant.Pr Laurent Toubiana nous montre l'impact du covid par rapport à d'autres épidémies,...Et c'est trés surprenant .


 31 Janvier 2022:  On a perdu TRUDEAU  !!!

samedi 1 février 2020

Le soulèvement populaire français : révolution ou conflit gelé ?



Par Diana Johnstone − Le 17 janvier 2020 − Source Unz Review
Le peuple est en colère contre son gouvernement. Où ? Un peu partout. Qu’est-ce qui rend les grèves en cours en France si spéciales ? Rien, peut-être, sauf une certaine attente basée sur l’histoire que les soulèvements français peuvent produire des changements importants – ou sinon, peuvent au moins aider à clarifier les problèmes des conflits sociaux contemporains.
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Les troubles sociaux en cours en France semblent opposer une majorité de travailleurs au président Emmanuel Macron. Mais comme Macron n’est qu’un instrument technocratique dans les mains de la gouvernance financière mondiale, le conflit est essentiellement un soulèvement contre des politiques qui placent les exigences cupides des marchés financiers avant les besoins de la population. Ce conflit fondamental est à l’origine des manifestations hebdomadaires des Gilets jaunes qui manifestent tous les samedis depuis plus d’un an, malgré une répression policière brutale. Désormais, syndicalistes, travailleurs du secteur public et Gilets jaunes manifestent ensemble, alors que  des arrêts de travail sporadiques continuent de perturber les transports publics.
Dans les derniers développements, les enseignants des écoles parisiennes se joignent à la révolte. Même la prestigieuse école préparatoire, le lycée Louis le Grand, a fait grève. C’est important parce que même un gouvernement qui n’a aucun scrupule à écraser les chefs des mécontents de la classe ouvrière peut hésiter avant de dénigrer les cerveaux de la future élite.
Aussi général que soit le mécontentement, la cause directe de ce qui est devenu la plus longue période de troubles dans la mémoire française, a son origine dans un seul fait : la détermination du gouvernement à revoir le système national de retraite de la sécurité sociale. Ce n’est qu’un aspect du programme antisocial de Macron, mais aucun autre aspect ne touche autant à la vie de tout le monde que celui-ci.
La retraite française est financée de la même manière que la sécurité sociale américaine. Les employés et les employeurs versent une partie des salaires à un fonds qui verse les pensions actuelles, dans l’espoir que les travailleurs de demain paieront les pensions de ceux qui travaillent aujourd’hui.
Le système existant est complexe, avec des régimes particuliers pour quarante-deux professions différentes, mais il fonctionne assez bien. En l’état actuel des choses, malgré l’écart grandissant entre les ultra-riches et les modestes, la pauvreté des personnes âgées est moins grande en France qu’en Allemagne par exemple.
Le plan Macron d’unifier et de simplifier le système par un mécanisme universel de points prétend améliorer «l’égalité», mais il s’agit d’un nivellement à la baisse et non à la hausse. L’orientation générale de la réforme est clairement de faire travailler les gens plus longtemps pour des pensions plus faibles. Petit à petit, les gains et les dépenses du système de sécurité sociale sont réduits. Cela diminuera encore le pourcentage du PIB consacré aux salaires et aux pensions.
Le résultat recherché ? Le voici : comme les gens craignent la perspective d’une vieillesse sans le sou, ils se sentiront obligés de placer leur épargne dans des régimes de retraite privés.

Solidarité internationale

Dans une rare manifestation de solidarité internationale, à l’ancienne, de la classe ouvrière, les syndicats belges ont exprimé leur ferme soutien à l’opposition des syndicats français aux réformes de Macron, proposant même de contribuer à un fonds de grève pour les travailleurs français. Le soutien des travailleurs d’un pays à la lutte des travailleurs d’un autre pays était ce que la solidarité internationale signifiait auparavant. Elle est largement oubliée par la gauche contemporaine, qui tend à la voir en termes d’ouverture des frontières nationales. Cela reflète parfaitement les aspirations du capitalisme mondial.
La solidarité internationale du capital financier est structurelle.
Macron est un banquier d’investissement, dont la campagne a été financée et promue par des banquiers d’investissement, y compris des investisseurs étrangers. Ce sont ces gens qui ont contribué à inspirer ses politiques, qui sont toutes conçues pour renforcer le pouvoir de la finance internationale et affaiblir le rôle de l’État.
Leur objectif est d’inciter l’État à abandonner la prise de décision au pouvoir impersonnel des «marchés», dont le critère mécanique est le profit plutôt que les considérations politiques subjectives de bien-être social. C’est la tendance dans tout l’Occident depuis les années 1980 et elle s’intensifie simplement sous le règne de Macron.
L’Union européenne est devenue le principal chien de garde de cette transformation. Totalement sous l’influence d’experts non élus, la Commission européenne établit tous les deux ans les «grandes orientations de politique économique» (GOPE), à suivre par les États membres. Les GOPE pour la France de mai 2018 «recommandent» – c’est une directive, c’est-à-dire un ordre – un ensemble de «réformes», dont «l’uniformisation» des régimes de retraite, ostensiblement pour améliorer la «transparence», «l’équité», la mobilité de la main-d’œuvre et – enfin mais certainement pas le moins important – «un meilleur contrôle des dépenses publiques». Bref, des coupes budgétaires gouvernementales.
La politique de réforme économique de Macron a été essentiellement définie à Bruxelles.
Mais Wall Street est également intéressé. L’équipe d’experts mandatée par le Premier ministre Edouard Philippe pour concevoir les réformes économiques inclut Jean-François Cirelli, chef de la branche française de Black Rock, le gestionnaire d’investissement (hedge funds) basé à New-York assis sur 3 400 milliards d’euros d’actifs. Les deux tiers environ du capital de Black Rock proviennent de fonds de pension du monde entier.1
Larry Fink, le PDG américain de ce monstrueux tas d’argent, était le bienvenu au Palais de l’Élysée en juin 2017, peu de temps après l’élection de Macron. Deux semaines plus tard, le ministre de l’économie Bruno Le Maire était à New York pour consulter Larry Fink. Puis, en octobre 2017, Fink a conduit une délégation de Wall Street à Paris pour une réunion confidentielle – divulguée par le Canard Enchaîné – avec Macron et cinq hauts ministres du gouvernement pour discuter des moyens de rendre la France particulièrement attrayante pour les investissements étrangers.
Larry Fink a un intérêt évident pour les réformes de Macron. En appauvrissant progressivement la sécurité sociale, le nouveau système vise à stimuler l’essor des régimes de retraite privés, domaine dominé par Black Rock. Ces régimes ne bénéficient pas de la garantie de la sécurité sociale du gouvernement. Les pensions privées dépendent des performances boursières, et en cas de crash, votre retraite disparaît. Pendant ce temps, les gestionnaires d’argent spéculent avec votre épargne, prenant leur tribut quoi qu’il arrive.
Il n’y a aucun complot là-dedans. C’est simplement la finance internationale à l’œuvre. Macron et ses ministres sont impatients de voir Black Rock investir en France. Pour eux, c’est ainsi que le monde fonctionne.
Le prétexte le plus cynique de la réforme des retraites de Macron est que la combinaison de tous les différents régimes professionnels en un système universel par points favorise l’égalité – même si elle augmente l’écart croissant entre les salariés et les super-riches, qui n’ont pas besoin de pensions.
Mais les professions sont différentes. À Noël, des danseurs de ballet grévistes ont illustré ce fait en jouant une partie du Lac des cygnes sur les pierres froides de l’entrée de l’Opéra Garnier à Paris. Ils attiraient l’attention du public sur le fait qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’ils continuent à travailler jusqu’à la soixantaine, pas plus que d’autres professions nécessitant des efforts physiques extrêmes.
La variété du système de retraite français actuel remplit une fonction sociale. Certaines professions, comme l’enseignement et les soins infirmiers, sont essentielles à la société, mais les salaires ont tendance à être inférieurs à ceux du secteur privé. Ces professions peuvent se perpétuer en assurant la stabilité de l’emploi et la promesse d’une retraite confortable. Ôtez leurs «privilèges» et recruter des enseignants et des infirmières compétents sera encore plus difficile que ce n’est déjà. À l’heure actuelle, le personnel médical menace de démissionner en masse, car les conditions dans les hôpitaux deviennent insupportables en raison des coupes drastiques dans les budgets et le personnel.

Y a-t-il une alternative ?

Le vrai problème est le choix du mode de vie : pour être précis, la mondialisation économique contre la souveraineté nationale.
Pour des raisons historiques, la plupart des Français ne partagent pas la foi ardente des Britanniques et des Américains dans la bienveillance de la main invisible du marché. Il existe un penchant national vers une économie mixte, où l’État joue un rôle déterminant. Les Français ne croient pas facilement que la privatisation est meilleure, surtout lorsqu’ils peuvent la voir empirer les situations existantes.
Macron est un défenseur passionné de la main invisible. Il semble s’attendre à ce qu’en drainant l’épargne française vers un géant international de l’investissement comme Black Rock, celui-ci le gratifiera en retour par des investissements dans le progrès technologique et industriel français.
Rien de moins sûr. En Occident ces jours-ci, il y a beaucoup de crédit à faible taux d’intérêt, beaucoup de dettes, mais l’investissement est rarement créatif. L’argent est largement utilisé pour spéculer : acheter ce qui existe déjà – les entreprises en place, les fusions, le négoce de valeurs mobilières – massif aux États-Unis –  et, pour les particuliers, le logement. La plupart des investissements étrangers en France achètent des choses comme les vignobles ou vont dans des infrastructures solides comme les ports, les aéroports et les autoroutes. Lorsque General Electric a racheté Alstom, elle a rapidement trahi sa promesse de préserver les emplois et a commencé à réduire ses effectifs. Elle prive également la France de la maîtrise d’un aspect essentiel de son indépendance nationale, son énergie nucléaire. [Les turbines des sous-marins nucléaires français dépendent maintenant des États-Unis, NdT]
En bref, l’investissement étranger peut affaiblir le pays d’une façon dramatique. Dans une économie mixte, les actifs à but lucratif tels que les autoroutes peuvent accroître la capacité du gouvernement à combler, entre autres, les déficits périodiques de la sécurité sociale. Avec la privatisation, les actionnaires étrangers exigent leurs bénéfices.
Les États-Unis, malgré leur dévouement idéologique à la main invisible, ont en fait un secteur industriel militaire fortement soutenu par l’État, qui dépend des crédits du Congrès, des contrats du Pentagone, d’une législation favorable et des pressions, sans vergogne, sur les «alliés» pour acheter des armes fabriquées aux États-Unis. Il s’agit en effet d’une forme d’économie planifiée, mais qui ne répond pas du tout aux besoins sociaux.
Les règles de l’Union européenne interdisent à un État membre comme la France de développer sa propre politique industrielle à caractère civil, car tout doit être ouvert à une concurrence internationale sans entraves. Les services publics et les infrastructure, tout doit être ouvert aux propriétaires étrangers. Les investisseurs étrangers n’ont aucun scrupule à prendre leurs bénéfices tout en laissant ces services publics se détériorer.
La perturbation continue de la vie quotidienne semble obliger le gouvernement de Macron à faire des concessions mineures. Mais rien ne peut changer les objectifs fondamentaux de cette présidence.
Dans le même temps, l’arrogance et la répression brutale du régime Macron augmentent les demandes d’un changement politique radical. Le mouvement des Gilets jaunes a largement adopté la demande formulée par Etienne Chouard d’une nouvelle Constitution autorisant les référendums à l’initiative des citoyens – en bref, une révolution démocratique pacifique.
Comment en arriver là ? Renverser un monarque est une chose, mais renverser le pouvoir de la finance internationale en est une autre, en particulier dans une nation liée par les traités de l’UE et de l’OTAN. L’animosité personnelle envers Macron a tendance à mettre l’Union européenne à l’abri de critiques acerbes sur sa responsabilité principale.
Une révolution électorale pacifique appelle des dirigeants populaires avec un programme clair. François Asselineau continue de diffuser sa critique radicale de l’UE auprès de l’intelligentsia sans que son parti, l’Union Populaire Républicaine, ne gagne une force électorale significative. Le leader de gauche Jean-Luc Mélenchon a le punch oratoire pour mener une révolution, mais sa popularité semble avoir souffert d’attaques encore plus dures que celles lancées contre Corbyn en Grande-Bretagne ou Sanders aux États-Unis. Avec Mélenchon affaibli et aucune autre personnalité forte en vue, Marine Le Pen s’est imposée comme le principal challenger de Macron à l’élection présidentielle de 2022, ce qui risque de présenter aux électeurs le même choix que celui de 2017.
L’analyse d’Asselineau, la masse stratégique des Gilets jaunes, le talent oratoire de Mélenchon, les réformes institutionnelles de Chouard – ce sont des éléments qui pourraient théoriquement se combiner – avec d’autres encore inconnus – pour produire une révolution pacifique. Mais combiner des éléments politiques est une alchimie difficile, surtout dans une France individualiste. Sans grandes surprises, la France semble se diriger non pas vers une révolution mais vers un interminable combat gelé.
Diana Johnstone
Traduit par jj, relu par Marcel pour le Saker Francophone
  1.  BlackRock a dépensé en 2018 plus de 1 250 000 € en lobbying auprès des institutions de l’Union européenne et organise des dizaines de rendez-vous avec les responsables de la Commission. BlackRock entend en particulier influer sur les questions de taxation et de régulation financière. Wikipédia ↩

jeudi 30 janvier 2020

Un président peu légitime, sourd et violent parle de démocratie


«  Nous sommes une démocratie. Et une démocratie, c’est un système politique où l’on choisit nos dirigeants. C’est un système politique où l’on choisit les représentants qui auront à voter librement les lois qui régissent la société. […] Ça veut dire que la liberté du peuple et sa souveraineté sont reconnues. […] Dans une démocratie, on a un devoir de respect à l’égard de ceux qui représentent et portent cette voix, parce que précisément, on a le pouvoir de les révoquer. […] Une dictature, c’est un régime où une personne ou un clan décident des lois. Une dictature, c’est un régime où on ne change pas les dirigeants, jamais. […] La dictature, elle justifie la haine. La dictature, elle justifie la violence pour en sortir. Mais il y a en démocratie un principe fondamental : le respect de l’autre, l’interdiction de la violence, la haine à combattre ». Ces propos d’Emmanuel Macron à Radio J au retour de son voyage en Israël le 23 janvier 20201 reprennent ce qu’il a affirmé auparavant à plusieurs reprises2.

Emmanuel Macron cherche ainsi de manière répétitive à nous convaincre que les manifestations des Gilets jaunes comme du mouvement actuel contre son projet de réforme des retraites sont inadmissibles dans notre système démocratique. Il estime en effet que la démocratie consiste à choisir ses représentants, puis à les laisser agir comme ils l’entendent (« librement  »), et à les sanctionner éventuellement à la prochaine élection. Il n’y a alors aucune place pour « la haine, la violence et l’irrespect » que seule justifie la dictature.
C’est une conception très particulière de la démocratie et une analyse pour le moins biaisée de notre système politique et de son fonctionnement actuel. Même dans le cadre parfaitement contestable de la Constitution de la 5e République, cela pose en effet quelques questions quant à la sincérité des dernières élections présidentielles, au degré de légitimité du président de la République, quant au respect par ce dernier de son programme électoral, quant à la nécessité de valider en permanence la légitimité du pouvoir, quant à la légitimité de la violence d’État comme de celle des citoyens.
Emmanuel Macron a-t-il été élu vraiment démocratiquement ?
Il ne suffit pas d’être élu pour être élu démocratiquement. Encore faut-il que les conditions de cette élection répondent à certaines exigences.
Il existe ainsi en France une réglementation stricte dans le code électoral dont le respect impératif permet d’assurer la sincérité du scrutin. Ces règles concernent essentiellement le financement des campagnes et la communication en période électorale. Or le candidat E. Macron a bénéficié d’une incroyable propagande de la presse audiovisuelle et écrite détenue par les oligarques français, provoquant un déséquilibre majeur dans le débat démocratique et altérant ainsi la sincérité du scrutin. C’est interdit, et si le coût de cette publicité électorale avait été réintégré dans le compte de campagne d’Emmanuel Macron, il aurait très largement dépassé le plafond, ce qui est illégal. Le code électoral n’a donc pas été respecté, même si la Commission nationale des comptes de campagne et le Conseil constitutionnel n’ont pas voulu le voir.
De quelle légitimité électorale bénéficie Emmanuel Macron ?
E. Macron dispose apparemment d’une indiscutable légitimité électorale : élu par plus de 66 % des électeurs tandis que son mouvement LREM a obtenu 350 députés sur 577, soit près de 61 %. C’est oublier quelques effets d’optique qui font que ces chiffres sont biaisés 3.
Tout d’abord le syndrome du vote utile : 57 % des électeurs d’Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle ont déclaré avoir voulu avant tout éviter l’élection de Marine Le Pen. On est donc loin d’une adhésion de 66 % des électeurs à son programme ou à sa personne.
Les pourcentages annoncés ne tiennent en outre pas compte des votes blancs ou nuls, qui ensemble ont représenté aux premiers tours de la présidentielle et des législatives respectivement 2,6 et 2,3 % des votants, et 13 et 11 % aux seconds tours. Ils ne tiennent pas compte non plus des Français adultes qui ne se sont pas inscrits sur les listes électorales, et qui sont a minima plus de 5 millions, pour un corps électoral de moins de 46 millions de personnes. Or tous ceux qui ont voté blanc ou nul, qui se sont abstenus ou qui ne se sont pas inscrits sur les listes électorales sont des Français majeurs qui sont tout aussi légitimes pour définir la politique de la France que ceux qui se sont exprimés lors des élections. Ils étaient près de 17 et 21 millions respectivement aux premier et second tours de l’élection présidentielle, et respectivement 30 et 35 millions aux élections législatives. Finalement, 16,4 % et 13,9 % seulement des Français ont réellement voté pour M. Macron au premier tour de la présidentielle ou pour les candidats LREM au premier tour des législatives. En d’autres termes près de 84 % des Français n’ont pas voté pour M. Macron, et près de 86 % d’entre eux n’ont pas voté pour les candidats de la majorité présidentielle. Il prenait la suite, déjà, du vote pour François Hollande en 2012, avec peu de votants au premier tour et un vote utile « tout sauf Sarkozy ». Une bien faible légitimité électorale…
Les projets du gouvernement sur les retraites sont-ils fidèles au programme du candidat Macron ?
L’élection n’est pas un blanc-seing donné par les citoyens à l’élu, n’en déplaise au président de la République pour qui dans une démocratie les représentants sont libres de voter les lois (voir ses propos plus haut) et font donc ce qu’ils veulent. Les règles décidées par nos représentants doivent correspondre au programme des candidats.
Le cas de la retraite nous permet de comparer promesses du candidat et projets de l’élu. Que disait le programme4 du candidat Macron sur les retraites ? Sur le contexte tout d’abord. Citation : « Le problème des retraites n’est plus un problème financier. […] Pour la première fois depuis des décennies, les perspectives financières permettent d’envisager l’avenir avec « une sérénité raisonnable ». […] L’enjeu aujourd’hui n’est donc pas de repousser l’âge ou d’augmenter la durée de cotisation.  » L’élu dit aujourd’hui exactement le contraire…
Le programme du candidat est ensuite pour le moins vague : « Notre projet […] est de rétablir la confiance et de construire un système adapté aux parcours professionnels, […] en mettant en place un système universel, juste, transparent et fiable. […] Notre système restera fondé sur la répartition. […] Il préservera les avantages sociaux, par exemple ceux qui sont liés à la maternité. […] Chacun pourra consulter, à chaque instant, l’ensemble des droits qu’il a accumulés et la pension correspondante.  » Système universel ? Alors que les policiers, militaires, personnels navigant des compagnies aériennes, entres autres, bénéficieront d’un système particulier ? Les avantages sociaux liés à la maternité préservés ? Alors que les femmes ne bénéficieront plus que d’un avantage correspondant à quatre trimestres, au lieu de l’équivalent de huit trimestres ? Chacun pourra consulter à tout moment la pension à laquelle il peut prétendre ? Alors qu’avec un système à points le montant de la retraite ne peut être calculé que lors du départ à la retraite, en fonction de la valeur du point à ce moment ?
Il avait annoncé en outre sur son compte twitter des dispositions qui ne correspondent pas au projet gouvernemental5. Par exemple « Je ne propose pas de baisser le niveau des retraites  », ou « vous pourrez librement décider de sous-cotiser ou de sur-cotiser »…
Il est donc clair que le programme du candidat ne correspond pas au projet du gouvernement.
Enfin ce programme sur les retraites n’a été ni expliqué ni débattu lors de la campagne électorale. Les électeurs n’ont donc pu voter pour lui en toute connaissance de cause, alors qu’il s’agit d’une réforme du système de retraite inédite depuis 1945 et destinée à transformer pour les décennies à venir un système social qui constitue l’une des composantes majeures du contrat social.
La légitimité démocratique doit être validée en permanence
Qu’est-ce que la légitimité républicaine dont se prévaut E. Macron ? Dans un système de démocratie représentative, la légitimité politique d’occuper un mandat et d’appliquer son programme nécessite que soient réunies deux conditions cumulatives6. Tout d’abord une arrivée au pouvoir légale et régulière par un scrutin dont la « sincérité » ne peut être mise en doute. On a vu plus haut que ce n’était pas le cas. Ensuite que le pouvoir bénéficie d’une reconnaissance sociale de la part des gouvernés. Après l’élection, la légitimité démocratique doit se valider jour après jour, et le pouvoir doit s’exercer dans un cadre strict de dispositifs institutionnels qui est celui d’une Constitution et d’une organisation des pouvoirs publics qui prévoient séparation, équilibres et contrôles. Et parmi ces dispositifs institutionnels, l’usage de la violence d’État que nous analysons plus bas.
« Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir » nous dit Montesquieu dans De l’esprit des lois. Cette limitation du pouvoir par le pouvoir qui permet de lutter contre l’oppression est mise en œuvre par la séparation des pouvoirs législatif, exécutif, judiciaire, qui est un principe fondamental des démocraties représentatives. A contrario, les régimes dictatoriaux recherchent une concentration des pouvoirs. Or en France, les procureurs, qui décident seuls de poursuivre ou non une personne physique ou morale, dépendent tous d’un supérieur hiérarchique commun, le garde des Sceaux, ministre de la Justice et donc du pouvoir exécutif. La Cour européenne des droits de l’Homme, partie du Conseil de l’Europe, a d’ailleurs condamné à plusieurs reprises (en 2008, 2010, 2013) la France pour l’absence d’indépendance du parquet – c’est-à-dire des procureurs – à l’égard du pouvoir exécutif, c’est-à-dire du gouvernement. La « démocratie » française n’est de ce seul fait pas très démocratique.
Par ailleurs, la souveraineté du peuple au fondement de la démocratie est permanente et ne saurait s’exprimer qu’une fois tous les cinq ans lors des élections. Même si le président de la République avait été porté au pouvoir par une majorité écrasante des Français (on a vu que c’était très loin d’être le cas), les citoyens auraient toute légitimité de changer d’avis et de refuser les décisions politiques du pouvoir. C’est au pouvoir à s’adapter aux Français et non l’inverse.
Or force est de constater qu’Emmanuel Macron n’a pas le soutien d’une majorité de Français. Selon un sondage de l’Ifop pour Le Journal du Dimanche7, la côte de popularité du chef de l’État a atteint un plus bas de 23 % en décembre 2018 avant de grimper progressivement et de se stabiliser ces derniers mois à 33 % et 34 %, pour baisser en janvier 2020, à 30 %. Le total des mécontents à l’égard du président de la République est aujourd’hui de 68 %. Selon le baromètre annuel du Cevipof8 de décembre 2018, seuls 22 % et 23 % des Français faisaient confiance au « gouvernement  » et à « l’institution présidentielle », en baisse de 8 et 10 points en un an. Un record. Et lors des élections européennes de mai 2019 le parti du président a royalement culminé à 10,7 % des inscrits, et même à 9,6 % des citoyens en âge de voter… L’ampleur des manifestations depuis plus d’un an et la durée exceptionnelle des grèves actuelles sont donc tout à fait cohérentes avec les résultats des sondages et des élections les plus récentes.
Plus précisément, près de six Français sur dix (57 %) sont opposés à la réforme des retraites selon un sondage Elabe pour BFMTV publié le 18 décembre 20199 et 51% des Français ont un avis positif sur le mouvement de protestation contre la réforme des retraites selon un sondage Ifop pour le Journal du Dimanche publié trois jours plus tard10. Et ces chiffres sont très stables.
Qu’en est-il du calendrier de la réforme des retraites qui étale sur les années à venir des décisions essentielles, comme si elle avançait masquée ? Est-ce une méthode démocratique de faire voter des lois partielles, sans discuter par exemple de son aspect financier ? Est-ce démocratique de donner aux députés un texte de plus de 1000 pages et 70 articles de loi six jours avant la date de dépôt des amendements11 ? Comment justifier que le gouvernement continue au même rythme alors que le Conseil d’État proteste sur les délais des projets de loi organique et de loi instituant ce système universel de retraite car il n’est pas « à même de mener sa mission avec la sérénité et les délais de réflexion nécessaires pour garantir au mieux la sécurité juridique de l’examen auquel il a procédé »12. Pourtant, ce n’est pas le temps qui a manqué au gouvernement : initialement prévue pour mi-2018, la réforme a été maintes fois repoussée, puis a fait l’objet d’innombrables consultations avec les partenaires sociaux. Et elle est encore « lacunaire  » selon le Conseil d’État…
La violence de l’État est-elle légitime ?
Le concept de « violence légitime » dont disposerait la police est un abus de langage avançant l’idée d’une « autorisation juridique » donnée aux forces de l’ordre de violenter les corps dans l’intérêt de l’État. Il s’agit en fait du « monopole de la violence » que seul l’État sur un territoire donné est autorisé à utiliser. Cette violence est déléguée à la police et ce qui est essentiel à la Justice, qui doit exercer son contrôle sur l’utilisation de la violence par les agents armés de l’État.
Pour que cette violence dont l’État a le monopole soit « légitime », deux conditions indispensables doivent être réunies : d’abord que son usage en soit défini et réglementé par la loi, en nature, en intensité, et en proportionnalité. Et qu’ensuite le caractère légal et régulier de cet usage soit contrôlé par le juge. La première condition est remplie : l’usage de la violence physique par les forces de l’ordre est strictement encadré par le Code pénal.
La seconde condition, celle du contrôle par la justice, n’est pas remplie, car la justice française est totalement défaillante.
Un an après le début du mouvement des Gilets jaunes, 372 procédures avaient été enregistrées contre des policiers et gendarmes, selon un décompte du ministère de la Justice. Parmi elles, 109 avaient été classées sans suite et 29 avaient fait l’objet de l’ouverture d’une information judiciaire. Seuls trois renvois en correctionnelle de fonctionnaires avaient été ordonnés. Alors que, côté Gilets jaunes, 3200 condamnations avaient été prononcées durant cette même période, avec plus de 1000 peines de prison ferme. L’invraisemblable brutalité des forces de l’ordre sur le terrain dont témoignent des centaines de vidéos ont fait depuis le début du mouvement des Gilets jaunes des centaines voire des milliers de blessés, 319 blessures à la tête, 25 personnes éborgnées, 5 mains arrachées et 2 morts13. Cette violence inouïe a effaré les observateurs étrangers au point que le Conseil de l’Europe14, le Parlement européen15 et les Nations Unies16 l’ont condamnée. Mais cette brutalité n’a jamais donné lieu qu’à deux condamnations de policiers par la justice en première instance (à deux et quatre mois de prison avec sursis…)17. Il est vrai après le filtre ou plutôt le barrage des institutions internes à la police et à la gendarmerie (Inspection générale de la police nationale IGPN et Inspection générale de la gendarmerie nationale IGGN) chargées d’« enquêter » mais qui se chargent d’abord de protéger les délinquants des forces de l’ordre et leurs responsables. Et après le filtre des procureurs qui dépendent du gouvernement et qui décident de poursuivre ou de ne pas poursuivre comme on l’a vu plus haut…
Cette défaillance flagrante de la justice prive « le monopole de la violence » dont dispose l’État de sa légitimité juridique et démocratique. Et ce qui n’est pas une coïncidence, en décembre 2018, seuls 44 % des Français faisaient confiance à « la justice  » tandis que 53 % ne lui faisaient pas confiance, selon le baromètre annuel du Cevipof. Notre pays n’aurait-il pas basculé dans une forme d’arbitraire ?
La violence des citoyens est-elle légitime ?
La violence des simples citoyens n’est pas toujours illégitime. Par exemple, quand quelqu’un est dans une situation où seule la violence lui permet de faire respecter ses droits fondamentaux, la violence est légitime. Ainsi chacun a le droit de s’opposer par la violence à quelqu’un qui voudrait le violer, le voler, le blesser par exemple. Mais cette violence doit être proportionnée au risque.
Au niveau politique, quand un élu agit contre la volonté de son peuple (c’est bien le cas aujourd’hui avec les retraites, comme on l’a vu plus haut), quand il refuse de modifier ou d’abandonner son projet, c’est-à-dire d’écouter son peuple, quand ce pouvoir use d’une violence qui n’a pas de légitimité juridique et démocratique, il est clair que ce pouvoir ne respecte pas les citoyens et que les citoyens n’ont aucun devoir de respect à l’égard de ce pouvoir, cet irrespect pouvant aller jusqu’à la haine et la violence. Mais les citoyens ont-ils d’autres moyens que la violence pour faire respecter leur volonté collective ?
Cela n’est pas sans rappeler les article 33 et 35 de la Constitution de la première République de 1793 intitulée « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » :
Art. 33 – La résistance à l’oppression est la conséquence des autres Droits de l’homme. 
Art. 35 – Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.
Cette légitimité de la violence des citoyens a cependant des limites, elle doit être proportionnée au risque et au déni de démocratie. Aujourd’hui, la violence des manifestants est très limitée, elle n’est pour l’essentiel que matérielle et symbolique (le Fouquet’s, des banques…) ou répond à la violence gratuite des forces de l’ordre amplement démontrée.
Conclusion
« Une dictature, c’est un régime où une personne ou un clan décident des lois » nous dit Emmanuel Macron avec raison. C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui en France. Les Français ne pensent peut-être pas vivre dans une dictature mais ils étaient 70 % fin 2018 à considérer que « la démocratie ne fonctionne pas bien  » selon le baromètre annuel du Cevipof.
Cela correspond à l’état actuel de notre système politique : un président mal élu lors d’un scrutin non sincère, sur un programme vague et non discuté, qui tente d’imposer un programme politique précis qui ne correspond pas à ce que la majorité des citoyens avaient compris de son programme, à l’aide d’une répression policière éhontée qui n’est pas contrôlée par la justice, et une justice qui n’est pas indépendante de l’exécutif. Un président qui n’a donc pas de légitimité démocratique pour mener sa politique. Et finalement un président qui parle beaucoup de démocratie pour justifier l’injustifiable, mais sans savoir ce qu’est la démocratie. Un président hyper violent (pour un pays dit démocratique, mais classique dans une dictature) vis-à-vis de ses citoyens, qui usent eux-mêmes d’une violence des plus mesurée.
Signataire avec la Commission démocratie d’Attac, le 28 janvier 2020
https://www.youtube.com/watch?v=JjL0J-aaDf8
2 Par exemple lors des vœux 2019 https://www.lepoint.fr/politique/voeux-2019-d-emmanuel-macron-la-fin-du-mea-culpa-31-12-2018-2282693_20.php,
ou lors de son intervention au Conseil économique, social et environnemental le 10 janvier 2020
https://www.bfmtv.com/mediaplayer/video/emmanuel-macron-je-ne-peux-pas-accepter-la-haine-la-violence-et-l-irrespect-1214125.html
https://blogs.mediapart.fr/robert-joumard/blog/121218/macron-le-petit-car-petitement-elu
https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/retraites
5 Tweet d’Emmanuel Macron sur les retraites le 21 mars 2017.https://twitter.com/EmmanuelMacron/status/844243556592160769
6 On lira utilement les articles de Régis de Castelnau sous https://www.vududroit.com/2020/01
https://www.ouest-france.fr/elections/sondages/les-cotes-de-popularite-d-emmanuel-macron-et-edouard-philippe-en-baisse-6706926
https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/les-resultats-par-vague
https://elabe.fr/reforme-retraites-decembre2019/
10 https://www.ouest-france.fr/elections/sondages/
11 https://www.huffingtonpost.fr/entry/les-deputes-ont-4-jours-pour-lire-letude-dimpact-de-la-reforme-qui-fait-1029-pages_fr_5e2b0bb4c5b6d6767fd31414
12 https://www.conseil-etat.fr/ressources/avis-aux-pouvoirs-publics/derniers-avis-publies/avis-sur-un-projet-de-loi-organique-et-un-projet-de-loi-instituant-un-systeme-universel-de-retraite
13 Selon le décompte du journaliste David Dufresne sur son compte twitter https://twitter.com/davduf?lang=fr
14 Conseil de l’Europe : Mémorandum sur le maintien de l’ordre et la liberté de réunion dans le contexte du mouvement des « gilets jaunes » en France, 26 février 2019.
https://rm.coe.int/memorandum-sur-le-maintien-de-l-ordre-et-la-liberte-de-reunion-dans-le/1680931add
15 Parlement européen : Résolution du Parlement européen du 14 février 2019 sur le droit à manifester pacifiquement et l’usage proportionné de la force 2019/2569(RSP)) :
http://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-8-2019-0127_FR.pdf
16 ONU : Communiqué de presse de Seong-Phil Hong, président rapporteur du Groupe de travail sur la détention arbitraire, Michel Forst, rapporteur spécial sur la situation des défenseurs des droits de l’homme, et Clément Nyaletsossi Voule, rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association : https://news.un.org/fr/story/2019/02/1036341
Discours de Michelle Bachelet, Haut-commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU réclamant une enquête sur les violences policières en France, 6 mars 2019 : https://news.un.org/fr/story/2019/02/1036341
17 https://actu.orange.fr/question-du-jour-2019-12-20-CNT000001me77h.html

dimanche 26 janvier 2020

« …il faut être idiot pour ne pas comprendre que les classes populaires doivent être maintenues dans la pauvreté, sans quoi elles ne seront jamais laborieuses. »
— Arthur Young (1771)
La doctrine économique de notre culture stipule que le capitalisme est synonyme de liberté individuelle et de sociétés libres, n’est-ce pas ? Eh bien, si vous vous êtes déjà dit que cette logique était une belle connerie, je vous recommande la lecture d’un livre intitulé The Invention of Capitalism (L’invention du capitalisme, non traduit), écrit par un historien de l’économie du nom de Michael Perelman, contraint de s’exiler à Chico State, une université perdue dans la Californie rurale, pour son manque de sympathie envers l’économie de marché. Perelman a utilisé son temps d’exil d’une des meilleures manières possibles, explorant et fouillant les travaux et la correspondance d’Adam Smith et de ses contemporains afin d’écrire une histoire de la création du capitalisme allant au-delà du conte de fées superficiel qu’est La Richesse des nations ; il nous propose ainsi de lire les premiers capitalistes, économistes, philosophes, prêtres et politiciens dans leurs propres mots. Et ce n’est pas beau à voir.
L’étude de l’histoire expose clairement le fait qu’Adam Smith et ses amis partisans du laisser-faire étaient en fait une bande de crypto-étatistes, qui avaient besoin de politiques gouvernementales brutales pour contraindre la paysannerie anglaise à devenir une main d’œuvre capitaliste docile prête à accepter l’esclavage salarial.
Francis Hutcheson, duquel Adam Smith apprit toute la vertu de la liberté naturelle, écrit : « c’est un des grands desseins des lois civiles que de renforcer les lois de la nature par des sanctions politiques… La populace doit être éduquée et guidée par les lois vers les meilleures méthodes dans la gestion de ses affaires et dans l’exercice de l’art mécanique. »
Eh oui, au contraire de ce qui est souvent suggéré, la transition vers une société capitaliste ne s’est pas faite naturellement ou sans douleur. Les paysans anglais, voyez-vous, n’avaient aucune envie d’abandonner leurs communautés rurales et leurs terres afin de travailler pour des salaires plus que précaires dans d’atroces et dangereuses usines, installées par une nouvelle et riche classe de propriétaires terriens capitalistes. Et pour de bonnes raisons. Selon les estimations fournies par Adam Smith lui-même, avec un salaire ouvrier dans l’Écosse d’alors, un paysan d’usine devait trimer plus de trois jours durant pour pouvoir se payer une paire de chaussures produites commercialement. Autrement, il pouvait fabriquer ses propres chaussures traditionnelles en utilisant son propre cuir, en quelques heures, et passer le reste du temps à s’enivrer à la bière. Quel cruel dilemme.
Seulement, pour faire marcher le capitalisme, les capitalistes avaient besoin d’une main d’œuvre peu chère et abondante. Que faire alors ? Appeler la Garde Nationale !
Face à une paysannerie qui ne voulait pas être réduite en esclavage, philosophes, économistes, politiciens, moralistes et hommes d’affaires commencèrent à plébisciter l’action gouvernementale. Avec le temps, ils mirent en place une série de lois et de mesures calibrées pour forcer les paysans à se soumettre en détruisant leurs moyens d’autosuffisance traditionnels.
« Les actes brutaux associés au processus de dépossession de la capacité d’une majorité de la population à être autosuffisante apparaissent bien éloignés de la réputation de laisser-faire de l’économie politique classique, écrit Perelman. En réalité, la dépossession de la majorité des petits producteurs et la construction du laisser-faire sont étroitement liés, à tel point que Marx, ou du moins ses traducteurs, donnèrent un nom à cette expropriation des masses : “l’accumulation primitive”. »
Perelman souligne les nombreuses politiques qui forcèrent les paysans hors de leurs terres — de la mise en place des Game Laws (lois sur la chasse) empêchant les paysans de chasser, à la destruction de la productivité paysanne par la division des communs en parcelles plus petites — mais les parties les plus intéressantes du livre sont incontestablement celles où le lecteur découvre les complaintes et autres gémissements des collègues proto-capitalistes d’Adam Smith se lamentant de ce que les paysans sont trop indépendants et à leurs affaires pour pouvoir être efficacement exploités, et essayant de trouver un moyen de les forcer à accepter une vie d’esclavage salarial.
Ce pamphlet de l’époque illustre bien l’attitude générale des capitalistes envers les paysans autosuffisants et prospères :
« Posséder une vache ou deux, un porc et quelques oies exalte naturellement le paysan… À flâner après son bétail, il devient indolent. Des quarts, des moitiés, voire des journées entières de travail sont imperceptiblement perdues. La journée de travail devient repoussante ; et l’aversion augmente avec la complaisance. Enfin, la vente d’un veau ou d’un porc à moitié nourri donne les moyens d’ajouter l’intempérance à l’oisiveté. »
Tandis qu’un autre pamphlétaire écrivait :
« Je ne peux pas concevoir de plus grande malédiction pour un groupe de personnes que d’être jeté sur un terrain où la production des moyens de subsistance et de la nourriture serait principalement spontanée, et où le climat ne requerrait ou n’admettrait que peu de vêtements ou de couvertures. »
John Bellers, « philanthrope » quaker et penseur économique, considérait les paysans indépendants comme une menace l’empêchant de contraindre les pauvres dans des usines-prisons où ils vivraient, travailleraient et produiraient un profit de 45% à destination des aristocrates propriétaires :
« Nos Forêts et grands Communs (poussent les Pauvres qui y habitent à devenir presque des Indiens) et sont une menace à l’Industrie, ainsi que des Berceaux d’Oisiveté et d’Insolence. »
Daniel Defoe, écrivain et commerçant, notait quant à lui que dans les Highlands écossais, « on était extrêmement bien fourni en provisions […] gibier à foison, en toute saison, jeune ou vieux, qu’ils tuent de leurs pistolets quand ils en trouvent ».
Pour Thomas Pennant, un botaniste, l’autosuffisance gâchait une population paysanne sinon parfaitement correcte :
« Les mœurs des indigènes des Highlands peuvent être résumées en quelques mots : indolence maximale, sauf lorsqu’ils sont stimulés par la guerre ou par quelque amusement. »
Si avoir un estomac bien rempli et une terre productive constituait le problème, alors la solution pour bien dresser ces faignants était évidente : virons-les de leurs terres et affamons-les !
Arthur Young, auteur populaire et penseur économique respecté par John Stuart Mill, écrivait en 1771 qu’il « faut être idiot pour ne pas comprendre que les classes populaires doivent être maintenues dans la pauvreté, sans quoi elles ne seront jamais laborieuses ». Sir William Temple, politicien et patron de Jonathan Swift, était d’accord et suggérait qu’il fallait taxer la nourriture, autant que possible, afin de sauver les classes populaires d’une vie « de paresse et de débauche ».
Temple défendait également le travail des enfants à l’usine, dès quatre ans, arguant « qu’ainsi, nous espérons que la nouvelle génération sera si bien habituée à l’emploi permanent qu’il lui sera, à terme, agréable et divertissant. » Pour d’autres, quatre ans, ce n’était pas assez. Selon Perelman, « John Locke, souvent vu comme un philosophe de la liberté, défendait le travail dès l’âge de trois ans ». Le travail des enfants excitait également Defoe, qui se réjouissait de ce que « des enfants de quatre ou cinq ans […] pouvaient chacun gagner leur propre pain ». Mais trêve de digression.
Même David Hume, le grand humaniste, vantait la pauvreté et la faim comme des expériences positives pour les classes populaires, et blâmait même la « pauvreté » de la France sur son climat favorable et ses sols fertiles :
« Les années de pénurie, à condition qu’elle ne soit pas extrême, on observe toujours que les pauvres travaillent plus, et vivent réellement mieux. »
Le révérend Joseph Townsend croyait que restreindre l’accès à la nourriture était la voie à suivre :
« Contraindre [directement] et juridiquement [au travail] […] est reçu avec trop de protestations, de violences et de bruit, […] tandis que la faim est non seulement un moyen de pression paisible, silencieux et incessant, mais en tant que meilleure motivation naturelle au travail, elle appelle les plus puissants efforts […]. La faim dompterait les plus rebelles des animaux, elle inculquerait décence et civilité, obéissance et assujettissement aux plus brutaux, aux plus obstinés et aux plus pervers. »
Patrick Colquhoun, un marchand qui monta la première « police de prévention » privée d’Angleterre pour empêcher les travailleurs des docks d’arrondir leurs maigres salaires avec de la marchandise volée, fournit ce qui est peut-être l’explication la plus lucide sur la manière dont la faim et la pauvreté sont corrélés à la productivité et la création de richesse :
« La pauvreté est l’état et la condition sociale de l’individu qui n’a pas de force de travail en réserve ou, en d’autres termes, pas de biens ou de moyens de subsistance autres que ceux procurés par l’exercice constant du travail dans les différentes occupations de la vie. La pauvreté est donc l’ingrédient le plus nécessaire et indispensable de la société, sans lequel les nations et les communautés ne pourraient exister dans l’état de civilisation. C’est le destin de l’homme. C’est la source de la richesse, car sans pauvreté, il ne pourrait y avoir de travail ; et il ne pourrait donc y avoir de biens, de raffinements, de conforts, et de bénéfices pour les riches. »
La formule de Colquhoun est si juste qu’elle mérite d’être répétée. Car ce qui était vrai à l’époque l’est encore aujourd’hui :
« La pauvreté est donc l’ingrédient le plus nécessaire et indispensable de la société […], c’est la source de la richesse, car sans pauvreté, il n’y aurait pas de travail ; et il ne pourrait donc y avoir de biens, de raffinements, de conforts, et de bénéfices pour les riches. »
Yasha Levine

Traduction : Alice Tréga
Édition : Nicolas Casaux