mardi 5 juillet 2011

« Décroissance et gratuité »

Compte-rendu de la conférence de Paul Ariés
14 mai 2011

Problématique
Le modèle occidental productiviste, qui génère les dérèglements environnementaux, les inégalités
sociales, la souffrance au travail et la mal-vie, n'est pas généralisable. Par exemple :
 si vous disposez d'un patrimoine de 5 343€ (votre voiture, votre vélo, vos meubles, vos
économies, …) vous appartenez déjà aux 50% les plus riches de la planète.
 avec un patrimoine de 34 000€, vous appartenez aux 10% les plus riches de la planète.
 avec un patrimoine de 340 000€, vous appartenez aux 1% les plus riches de la planète.
Sachant qu'aujourd'hui 20% des humains - dont nous sommes - s'approprient  86% des ressources
planétaires, qu'une seule planète Terre n'y suffit déjà pas, et que le style de vie vendu par la
propagande capitaliste est celui des 1% les plus riches, il est évident que le modèle de croissance
occidental n'est pas généralisable et que le « toujours plus » n'est la solution ni pour les pays déjà
bouffis par la croissance ni pour les pays pauvres.
Et si la droite avance ses pions avec le Capitalisme Vert / Développement Durable pour continuer à
adapter l’homme et la planète au capitalisme, la gauche, elle, n'a pas de réponse à la hauteur des
enjeux.
Idées fortes
Le capitalisme a sombré dans la démesure. Il n'est pas capable de se donner des limites et va les
chercher dans le réel, ce qui occasionne l'épuisement des ressources, le réchauffement planétaire et
l'explosion des inégalités sociales. Le grand enjeu pour le 21ème siècle est de renouer avec la
capacité à se donner des limites. Et pour cela, il faut en finir avec la dictature de l'économisme et
refaire primer la culture - seule capable de se défendre face aux fantasmes de la croissance - et le
politique, en jouant la créativité populaire contre l'innovation capitaliste.
L'enjeu est de définir quels sont les besoins sociaux fondamentaux et d'inventer collectivement des
modes de vie radicalement différents de ceux en vogue actuellement. Si nous savons créer des
mobilisations, nous pourrons inverser le rapport des forces.
Et pour mobiliser, il faut un projet politique désirable. Et face au capitalisme qui insécurise et qui
impose ses styles de vie, nous devons créer nos propres dissolvants d'angoisse existentielle
socialistes. D'où la promotion de la gratuité, du don et du partage. Paul Ariés propose ainsi de faire
de la défense et l'extension de la sphère de la gratuité le grand combat politique pour le 21ème
siècle pour la gauche, en commençant par la gratuité des services publics locaux.
Paul Ariés a la particularité de ne pas voir le capitalisme seulement comme un système
d'exploitation. Il y ajoute deux autres composantes fondamentales : un modèle d'imposition de
styles de vie et d'objets capitalistes ainsi qu'une réponse à nos angoisses existentielles et au
sentiment de finitude. Ce à quoi répond précisément le « toujours plus » de la croissance. Il prône
un retour à la morale en politique au nom d'une certaine conception de l'homme et souligne
l'importance d'articuler trois niveaux d'action indispensables : simplicité volontaire,
expérimentations collectives et élaboration d'un projet politique. Il explique pourquoi et comment
cette articulation doit s’opérer.


Conférence décroissance et gratuité, par Paul Ariés
« J'assume totalement mes deux casquettes. Celle du politologue spécialiste de la mondialisation et
celle du citoyen engagé. J'ai été pendant une dizaine d'années président pour la France d'une toute
petite ONG, le « Centre Europe Tiers Monde », dont la devise est «  il n'y a pas un monde
développé et un monde sous développé mais un seul monde mal développé », ONG habilitée au
sein de la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU. J'ai ensuite travaillé aux côtés des
associations anti-sectes et de la Mission interministérielle sur les sectes avec une grille d'analyse un
peu particulière, puisque pour moi les grandes sectes comme la scientologie ne sont pas un cancer
sur un corps sain mais les métastases d'une société malade, une sorte de miroir grossissant de ce
qu' il ne va pas dans notre monde.
J'en suis venu à m'intéresser à d'autres laboratoires du futur, comme la malbouffe, comme le
harcèlement au travail, comme l'agression publicitaire. Ma rencontre avec les idées de la
décroissance, a été pour moi une façon de remettre de l'ordre, à la fois dans ma pensée et dans mes
engagements. Je suis donc aujourd'hui l'un des responsables du Sarkophage, créé le 14 juillet 2007.
Le jour et l'année ne sont pas anecdotiques. Ce journal se donnait deux buts : le premier comme un
analyseur du sarkozysme -mais on paraît tous les deux mois et lui va trop vite, on y est jamais
arrivés. Le deuxième objectif était de travailler à la convergence des différentes familles des
gauches antiproductivistes et des écologistes antilibéraux. Ce deuxième objectif est celui que l'on
réussit le mieux. »
La problématique générale
Nous disons qu'il faut en finir avec le culte de la croissance, qu'elle soit bleue avec la droite et le
patronat, qu'elle soit rose rouge ou verte avec la gauche ou l'écologie.
Pour devenir Objecteur de Croissance (OC), il suffit de cesser de refouler ce que nous savons
tous déjà  et qui tient en deux chiffres :  20% des humains, dont nous sommes, s'approprient
86% des ressources planétaires.
Cela ne serait forcément si grave si on pouvait avoir l'espoir d'un rattrapage possible, c'est-à-dire si
on pouvait encore croire que le gâteau, le PIB mondial puisse grandir démesurément.  Or,  si 6
milliards d'humains vivaient comme nous, une seule planète Terre ne suffirait pas. Il en
faudrait presque 4 si l'on adoptait les standards de vie nord européens, et plus de 6 si l'on adoptait
les standards de vie nord américains.
Autrement dit, la croissance, le toujours plus, ce n'est pas la solution, ni pour les pays bouffis
par la croissance, ni même pour les pays pauvres  qui devront inventer d'autres façons de
satisfaire les besoins fondamentaux de l'humanité.
   Renouer avec cette capacité à se donner des limites
« Einstein disait que tant qu'on a la tête en forme de marteau, on voit les problèmes sous la forme
de clous. Tant que nous aurons la tête formatée par l'économisme, - plus serait forcément égal à
mieux -, nous irons chercher la solution à l'ensemble des problèmes sociaux dans le toujours
plus, toujours plus de travail, toujours plus de production, toujours plus de consommation,
toujours plus loin, toujours plus grand. »
Notre société, le capitalisme, a sombré dans  la démesure. Nous avons perdu la capacité à nous
donner des limites. Lorsque l'individu n'est pas capable de se donner des limites, il va les chercher
dans le réel : c'est le développement des conduites à risque, de la toxicomanie, du suicide.  Mais
lorsqu'une société comme la nôtre n'est pas capable non plus de se donner des limites, elle va aussi
les chercher dans le réel : c'est l'épuisement des ressources, le réchauffement planétaire, l'explosion
obscène des inégalités sociales. Le grand enjeu pour le 21ème siècle, c'est donc de renouer avec
cette capacité à se donner des limites. Et pour cela, d'en finir avec la dictature de l'économisme.
Et pour en finir avec l'économisme, il faut faire primer la culture et le politique :
 La culture, c'est toujours ce qui nous immunise contre les fantasmes les plus archaïques, le
culte de la toute puissance, l'idée d'un monde sans limites.
 La politique, c'est d'abord la définition de la loi. Ce qui pose la question du contenu de cette
loi : est-elle faite dans l'intérêt du plus grand nombre ou dans l'intérêt d'une petite minorité ?
Les crises
Ce qu'il peut y avoir de commun entre une série de grandes crises : la crise environnementale, la
crise sociale, la crise politique, la crise du sens de nos existences, de la symbolique.
Première crise, la crise environnementale : ce qui nous menace, c'est la remise en cause de la
possibilité même de poursuivre l'aventure humaine. Tous les indicateurs sont en train de virer au
rouge. Cette dégradation de l'environnement  est toujours, en même temps, un facteur
d'inégalité sociale.
La justice écologique, ce serait de reconnaître a dette environnementale des pays riches vis-à-vis
des pays pauvres. Et  dans nos pays opulents, ce sont aussi les populations des quartiers les plus
pauvres qui connaissent un taux de pollution chimiques, sonores, visuels les plus importants. Alors
que la responsabilité est totalement inverse.
Le journaliste du Monde Hervé Kempf a raison. Ce sont les riches qui sont responsables et ils
sont doublement responsables : ils sont responsables par leur mode de vie mais ils sont aussi
responsables par le mauvais exemple qu'ils donnent et par l'imitation du mode de vie des
classes supérieures par les classes moyennes.
Le réchauffement
Demain pourra-t-on poursuivre l'aventure humaine dans de bonnes conditions ? Le GIEC revoit
sans cesse ses prévisions à la hausse. Les spécialistes ont introduit une notion qui est celle de seuil
d'irréversibilité : au-delà d'un certaine augmentation de la température, on ne sait pas ce qu'il peut
arriver :  Si la température augmente de 2°, nous allons enclencher des phénomènes de rétroaction
positive : les puits de carbone vont devenir des sources.  Donc nous passerons à 3°.
 Si nous arrivons à 3° d'augmentation, c'est par exemple la fonte du permafrost – les terres
gelées – et c'est le passage à 4°.
 Si nous passons à 4° c'est l'augmentation des émanations de méthane contenu dans les
océans et c'est le passage à 5°.
 Et à 5°, c'est la fin du débat pour toute une partie de la vie sur Terre.
Donc, en matière de réchauffement, le grand enjeu, c'est de rester au dessous de 2°.
Pour cela, il faut réduire nos émissions DANS LE MONDE de 60% d'ici 2050. Alors que depuis
1990, depuis qu'on nous parle de développement durable, les émissions n'ont cessé d'augmenter.
Donc, combien peut-on émettre chaque année de CO2 pour rendre à nos enfants une terre qui
soit encore viable ?  3 milliards de tonnes d'équivalent carbone.
Si l'on traduit toutes nos activités : le fait de manger, de s'habiller, de venir à une conférence, … Si
on dépasse ce seuil de 3 milliards, on rend à nos enfants une Terre dépréciée. Depuis les années 70,
nous avons dépassé ce maximum. Nous en sommes aujourd'hui à 6,8 milliards de tonnes équivalent
carbone. Le double de ce que la Terre peut digérer. Prenons au sérieux ce 3 milliards pour 6
milliards d'humains (bientôt 7), cela nous donne 500 kg d'équivalent carbone par personne et par an.
Si l'on dépasse 500 kg, il y a deux solutions : soit on prend sur la part de ceux qui ont moins : les
Africains par exemple, soit on prend sur la part de ceux qui n'ont pas encore la parole : les
générations à venir. 500 kg d 'équivalent carbone (EC), c'est quoi ? C'est par exemple un vol AR
Paris New York  : 543 kg équivalent carbone, si on prend une fois l'avion dans l'année, il faut arrêter
de manger. C'est 5000 km par an en voiture. Lorsque je donne ces chiffres, je ne cherche surtout pas
à culpabiliser quiconque. Pour porter ce discours, je fais beaucoup plus que 5000 km / an.
Ces chiffres servent à mesurer l'ampleur des changements nécessaires mais ils servent surtout
à montrer que la solution ne peut pas être de faire la même chose en moins. Ce n'est pas en se
serrant la ceinture qu'on y arrivera. C'est en inventant collectivement des modes de vie
radicalement différents.  Ces 500 kg d'EC, c'est quoi ? Donnons d'autres exemples : c'est la
fabrication d'1,5 ordinateur à écran plat. Et on sait depuis les travaux du MIT que 500 kg d'EC =
200 clics par jour sur Internet avec notre petite souris. Car à chaque fois que je fais un clic, cela
représente 14 grammes d'EC soit la moitié du coût d'utilisation d'une bouilloire électrique et
l'équivalent d'une heure de fonctionnement d'une ampoule.
Le grand enjeu aujourd'hui, c'est de définir quels sont les besoins  sociaux fondamentaux.
Quand je dis  besoins sociaux fondamentaux il ne s'agit pas seulement des besoins vitaux. Le besoin
culturel, le besoin politique font partie de ces besoins fondamentaux.  L'alimentation est l'un des
grands enjeux.
Alimentation
L'agriculture productiviste consomme 20 fois plus de calories qu'elle n'en apporte. En France,
chaque fois que vous consommez une calorie de carotte africaine, qui ont envahi nos magasins,
vous consommez en même temps 65 calories d'essence. Le Programme pour l'Environnement des
Nations Unies le dit : un tiers de la nourriture mondiale est gaspillée (plus de 40% aux USA et en
Grande-Bretagne) et on peut nourrir 10 milliards d'humains avec une autre alimentation : relocalisée, resaisonnalisée, moins gourmande en eau, moins carnée, assurant la biodiversité.
Eau
L'autre grand problème pour demain matin. Un nord américain consomme presque 3 fois plus d'eau
qu'un Français. Avons-nous le sentiment de manquer d'eau ? Conséquence, l'OMS nous le dit, nous
serons 500 millions d'humains à 1 milliard en état de pénurie et deux milliards et demi en situation
critique d'ici 50 ans.
Comment peut-on espérer rester sur notre petit îlot de prospérité – toute relative – au milieu
d'un océan de détresse ?
Crise sociale
Mais il n'y a pas que cet effondrement environnemental. Il y a aussi aujourd'hui un véritable
effondrement social, et ce qui le mesure le mieux c'est l'accroissement  monstrueux des inégalités
sociales. Les 3 familles aujourd'hui les plus riches à l'échelle planétaire ont un revenu supérieur au
PIB total des 48 pays les plus pauvres.
Mais il y a 3 autres chiffres qui sont peut-être plus dérangeants :
 Si nous avons un patrimoine de 5343€, un patrimoine c'est l'ensemble de nos biens
accumulés : notre voiture, notre appartement, notre électroménager, notre argent …., nous
appartenons déjà aux 50% les plus riches de la planète.
 Si nous avons un patrimoine de 34 000€, nous appartenons aux 10% les plus riches de la
planète.
 Si nous avons un patrimoine de 340 000€, nous appartenons aux 1% les plus riches de la
planète.
Il s'agit de se rendre compte que ce modèle de croissance qui génère les inégalités sociales, la
souffrance au travail et la mal-vie n'est pas généralisable.
Et en bonne philosophie kantienne, ce qui n'est pas universalisable n'est pas défendable. Pourtant,
4% des 250 plus grosses fortunes permettraient de couvrir l'ensemble des besoins sociaux. Diouf, le
patron de la FAO, rappelait il y a un an que $30 milliards suffiraient chaque année pour que plus
personne ne crève de faim à l'échelle planétaire. $30 milliards et on en a fini avec la famine. Mais
$30 milliards, on ne les trouve pas. Mais le budget officiel de l'armement : $1200 milliards. Les
dépenses publicitaires : $700 milliards. Le marché des stupéfiants : $800 milliards.
Le problème, une fois plus, n'est pas un problème de moyens, mais un problème de choix politique :
qu'est-ce qu'on produit, comment et pour qui ?
La crise politique 
Cette crise économique et sociale est aussi une crise de la démocratie : montée de l'abstention
notamment parmi les plus pauvres,  montée de l'extrême droite à l'échelle européenne. Il y a
aujourd'hui un décalage entre la situation et les projets politiques, à droite comme à gauche.Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, le temps de la nature va plus vite que le temps
politique. Si nous n'arrivons pas à inverser les tendances d'ici 30 à 40 ans, nous allons nous trouver
face à une situation dramatique. Or, pour porter un projet, pour convaincre nos concitoyens, pour
faire des lois, pour les appliquer, ça prend du temps. D'où la tentation aujourd'hui, pour un certain
nombre y compris dans les milieux de l'écologie, y compris dans les milieux de la décroissance, à la
tyrannie éclairée, au gouvernement de sages, au gouvernement des experts, comme le prône
notamment Dominique Bourg. Et bien non, la seule conviction que l'on peut avoir, c'est qu'on ne
s'en sortira pas sans un surcroît de démocratie.  La vraie démocratie, c'est toujours de
postuler la compétence des incompétents.
La vraie démocratie, c'est de considérer que l'expertise de monsieur et madame tout-le-monde vaut
bien celle de nos spécialistes.
Il y a deux types de démocratie : la démocratie quantitative, c’est-à-dire notre démocratie politique,
représentative. C'est très bien qu'elle existe et il faut même l'améliorer, par exemple avec le mandat
et le tirage au sort d’une partie de nos représentants. Mais  cette démocratie politique, elle
fonctionne toujours au détriment des plus faibles.
A côté de cette démocratie quantitative, il faut développer une démocratie qualitative . il s’agit non
pas de l'individu abstrait, du citoyen nu, mais de l'individu en situation : démocratie du comité de
quartier, démocratie dans l'entreprise, … Si nous n'arrivons pas effectivement à ce sursaut
démocratique, il n'y aura pas d'issue.
Développement Durable = Capitalisme Vert
La gauche et la droite, par delà toute connivence, partagent le même bilan effroyable en matière
environnementale. C'est le système qui pille la planète pour nourrir le système productiviste. Mais
ces deux systèmes ne se trouvent pas dans la même situation. Parce qu'elles ne savent pas encore
comment concilier le souci de justice sociale avec les contraintes environnementales et du besoin de
reconnaissance face à une société du mépris, les gauches sont aphones. A l’inverse, les milieux
d'affaires ont un vrai projet, longtemps camouflé sous le nom de développement durable et qui est
en fait le capitalisme vert.
Les gauches et les écologistes sous estiment gravement le danger du capitalisme vert. On croit que
c'est simplement du verdissement de l'image, du greenwashing. Non, le capitalisme vert, c'est la
volonté d'adapter la planète, d'adapter l'écologie, d'adapter l'humanité elle-même aux besoins
du productivisme. Tout est prêt.
Quelques exemples de projets :
 créer un immense bouclier artificiel autour de la Terre composé de dizaines de milliers de
satellites avec des grandes ailes pour nous protéger des rayons solaires
 couvrir 3% du globe pour contrebalancer  le doublement des émissions de CO2,
 repeindre en blanc les nuages gris grâce à la projection de particules, ce qui augmenterait de
10% les micro gouttelettes et faciliterait la réflexion des rayonnements solaires,
 jeter dans la mer des milliards de petites boules blanches pour faciliter la réflexion,
 créer des vaches OGM résistantes à la maladie de la vache folle et n'ayant plus besoin de
ruminer, Tout sera fait plutôt que de remettre en cause la logique dominante. Ajouter à cela les fantasmes liés
au transhumanisme, pour dépasser nos limites et nos faiblesses et passer de l'Homo Sapiens au
Robot Sapiens.
Il faut donc lutter contre ce type de projet en remoralisant notre combat. Ce retour à la morale
en politique doit se faire au nom d'une certaine conception de l'homme, nous devons nous opposer à
ces projets.
Le capitalisme a lancé ces projets avant d'avoir gagné l'opinion publique et si nous savons
créer des mobilisations, comme nous l'avons fait autour des OGM, comme nous commençons
à le faire autour des gaz de schiste, autour de ces questions d'adaptation de la planète,
d'adaptation de l'humanité alors nous pourrons inverser le rapport des forces.
Ce que la (sa) décroissance n'est pas
 Ma conception de la décroissance n'est pas d'apprendre à se serrer la ceinture un peu beaucoup
passionnément.
 La décroissance n'est pas une punition.  Ceux qui ont tout à gagner à la décroissance, ce sont
les plus pauvres. Le grand enjeu, c'est de susciter le désir, c'est de tracer le chemin, c'est de
donner envie de changer la société.
 Cette décroissance n'est pas une conception malthusienne. Il n'y aura pas de panne sèche du
système. Ce système va encore trouver de quoi nous pourrir la vie pendant longtemps, y
compris avec les gaz de schiste, y compris avec les nanotechnologies.
 Pas de retour en arrière (ex : un individu qui régresse est un individu malade, il ne redevient
pas un enfant)
 La stratégie de la décroissance, c’est le pas de côté. « Nous ferons le chemin  en marchant »
 Ce n'est pas « moins de tout pour tous ». Il y a des choses qui vont devoir croître.
 Il n'y aura pas de Grand Soir
 Il faut ouvrir ensemble des dynamiques de rupture
La décroissance ce n'est pas faire la même chose en moins, c'est inventer ensemble une société
solidaire, une société fraternelle.
Mais dans notre société opulente, il faut avoir le courage politique d'ajouter que cette
décroissance équitable et sélective devra se faire dans un contexte global de décroissance.
Conséquence, il va falloir apprendre à vivre beaucoup mieux avec moins. Non, nous ne serons pas
tous des petits bourgeois.
Ce qu'est la (sa) décroissance
C'est une chance extraordinaire pour la gauche de se refaire. Puisque le gâteau ne peut plus grossir,
la grande question c'est d'abord de changer sa recette pour pouvoir, effectivement, le répartir (parce
qu'on partage très difficilement des yachts et des terrains de golf).
La décroissance, c'est le retour des partageux.La décroissance est aussi une invitation à passer sur le versant positif de la critique. Peut-être que
nous n'arriverons pas à changer ce monde, mais rien ne nous interdit d'essayer d'en construire un
autre.
La décroissance que j'aime c'est celle d'un socialisme gourmand. Ce socialisme gourmand plonge
ses racines très loin dans l'histoire : section syndicale, club de sport non compétitif, la coopérative
d'achat, le club d'espéranto, le socialisme municipal.
La décroissance que j'aime fait disssensus et le terme de décroissance est là pour faire dissensus. Il a
une fonction d'empêcher de développer et de croître en rond.
Ma décroissance = jouissance d'être, apprendre à passer de la résistance à la création.  Jouer la
créativité populaire contre l'innovation capitaliste. Sinon, à force d'être seulement contre, on
finira tout contre : nous finirons par porter notre adversaire sur le dos jusqu'à ce qu'il nous
poignarde. Oui, croire à la croissance infinie est une stupidité. Mais croire à une décroissance
infinie est tout aussi stupide.
Ma décroissance est anticapitaliste, car le capitalisme est intrinsèquement productiviste. Mais le
pétrole capitaliste n'est pas plus écolo que le pétrole socialiste, le nucléaire capitaliste n'est pas plus
autogérable que le nucléaire socialiste.
Les gauches, l'écosocialisme sont l'horizon de le décroissance.
Les questions que nous nous posons aujourd'hui ont été posées des milliers de fois dans l'histoire.
Le problème est que chaque fois que nous sommes arrivés à un carrefour, nous avons emprunté le
mauvais chemin. Chaque fois, nous sommes retombés dans les ornières du productivisme.
Le moment est venu de marier un certain nombre de mots obus :
 l'antiproductivisme,
 l'anticapitalisme
et des mots chantiers :
 la relocalisation contre le mondialisme,
 le ralentissement contre le culte de la vitesse,
 la coopération contre la concurrence,
 le partage contre l'égoïsme,
 la démarchandisation,
 la planification démocratique contre le tout marché,
 l'autogestion contre l'oligarchie,
 le choix d'une vie simple contre le mythe de l'abondance.
La décroissance ne fait pas encore un programme mais elle en défait déjà beaucoup.
3 niveaux d'actions indispensables :
 Premier niveau, la simplicité volontaire : alors qu'on a toujours eu tendance à remettre au
lendemain du Grand Soir le changement de nos modes de vie, il faut essayer chacun à notre
niveau d'avoir un mode vie en conformité avec nos valeurs.  … tout ce qui peut être fait tout
de suite doit être fait. Cela semble aller de soi mais si l'on se contente de cela, cette démarche peut se révéler insuffisante et dangereuse.
 Insuffisante :  à quoi ça servirait d'être un certain nombre à se faire plaisir si les
logiques dominantes restent en place. « je n'entends pas me serrer la ceinture pour
que DSK puisse rouler en Porsche ».
 Dangereuse :  la doctrine  « plus décroissant que moi tu meurs » fait passer du
Registre politique au registre moral voire religieux. La carte de la culpabilisation est
la seule carte qu'il ne faut jamais jouer.
Donc, un deuxième niveau est nécessaire.
 Deuxième niveau, les expérimentations collectives :   Tout ce qu'on peut bricoler
ensemble, dans les marges, dans les franges, ou pourquoi pas au coeur de la société (retour
du mouvement coopératif : production, consommation, pédagogie,  habitation → nécessaire
. Lipp, AMAP, SEL,  pédagogie alternative, presse alternative. …). Bonheur à partager,
resserrer les rangs, îlots de résistance, laboratoire du futur. Mais, si l'on se contente de cela,
c'est insuffisant. Ex : l'agriculture bio. Donc, un troisième niveau est nécessaire.
 Troisième niveau, un projet politique :  l'écosocialisme commence à se dessiner.  Les
villes, les municipalités sont des lieux d'expérimentation
Exemples : ralentir la ville et la vie pour la rendre aux plus pauvres. Rendre au temps sa
dimension qualitative, à la différence du temps quantitatif, qui lui est économique.
Repolitiser ces questions du temps et de la lenteur. La vitesse est facteur d'inégalités
sociales. Deux siècles de prothèses techniques n'ont servi qu'à accélérer Il faut inventer des
prothèses à ralentir : slow food, bridage des moteurs, .... 2 villes en France appartiennent au
réseau des villes lentes.
La gratuité
Pour ne plus se cantonner aux combats défensifs, nous avons besoin de quelque chose d'aussi fort
que le « toujours plus ». Il propose de faire la défense et l'extension de la sphère de la gratuité le
grand combat pour le 21ème siècle. Mener ce combat, c'est reprendre la main sur les projets de
droite. Le grand projet, c'est de susciter le désir.  
Les trois composantes du capitalisme :
 un système d'exploitation,
 un modèle d'imposition de styles de vie, de modes de vie, d'objets capitalistes,
 une  réponse à nos angoisses existentielles, au sentiment de finitude. Ce à quoi répond
précisément le « toujours plus ».
Nous avons besoin de créer nos propres dissolvants d'angoisse existentielle socialistes. Du
coup, promouvons la gratuité, le don et le partage.
Les deux conceptions de la gratuité :
 La gratuité pour les naufragés du système, pour les accompagner. La gratuité de la
condescendance.
 La gratuité d'émancipation, pour tous (ex : école).Les mesures d'accompagnement nécessaires :
 Revenu Garanti, démonétarisé en partie (eau, énergie, transports publics, ...)
 Revenu Maximal Autorisé, nouvelles monnaies (régionales, fondantes, …)
Les mode opératoire : commencer par le local vers le national et le niveau européen.
Le Financement : c'est un choix politique.  C'est coûteux, il faut donc faire les bons choix.
Le principe de non extraction
Paul Ariés prend exemple sur l'Amérique latine avec le projet Yasuni et le principe de  non
extraction.
Il ne faut pas limiter les émissions mais …. les éviter. Les pays riches doivent également reconnaître
leur dette écologique. Un schéma postpétrolier et une économie postextractiviste entrent dans le
schéma d'une société postproductiviste. Donc, chez nous aussi, faisons 1000 projets Yasuni
Le bien vivre
Eudemonia, Jours Heureux, Convivialisme, …  de nouveaux mots apparaissent pour parler
d'émancipation.
L'article 8 de la Constitution bolivienne cite le « bien vivre ».
Le bien vivre, ce n'est pas le bien être. Le bien être s'oppose à la nature. Le bien vivre, c'est la vie en
harmonie entre les humains, et dans les relations avec la nature.
Vivre bien c'est vivre en communauté, en fraternité, en complémentarité.
Les pauvres se réveillent
La société de consommation, c'est pas leur truc, c'est un leurre. La société de consommation serait
simplement une société où l'on consomme plus que dans une autre. Non, c'est aussi la casse des
cultures populaires, des cultures traditionnelles et durables, ....
Avant la société de consommation, il y avait une table par classe sociale, aussi fière l'une que
l'autre. Aujourd'hui, les cultures populaires sont des sous-produits de la culture dominante.
Il faut donc réveiller, recréer les cultures populaires, ne plus parler que dans le registre de la
rationalité mais aussi dans le registre du sentiment, de l'émotion.
Si nous parvenons à repoétiser nos vies, le capitalisme et le FN n'auront plus qu'à se rhabiller.
La Gauche doit renouer avec les cultures populaires.
Conclusion
Le capitalisme ne fait pas/plus société et il n'y a plus d'institutions émancipatrices. Sacré et profane
sont inversés conformément à la définition du totalitarisme d'Arendt. Pour échapper à ce nouveau totalitarisme barbare,  il faut susciter le désir.
Le développement des classes moyennes a été le phénomène majeur du XXeme siècle. La crise
sociale actuelle est une menace de démoyennisation de la société. Cela peut engendrer des
changements, des révolutions.  Le pire est à craindre si le nihilisme l'emporte mais il y a tout à
espérer si une génération entière découvre quelle n'a rien à attendre de ce système et qu'elle doit
réinventer  quelque chose.
Il faut avoir foi dans la possibilité de changer le monde. Il faut bousculer les gauches et ne pas
baisser la garde. Avec d'autres, l'antiproductivisme contribue à penser et construire cet avenir.
FIN DE LA CONFERENCE
DEBUT DE L'ECHANGE ENTRE PAUL ARIES ET ATTAC
Q : N'y aurait-il pas une erreur de casting dans le choix du terme « décroissance » au détriment
d'autres termes plus positifs capables de susciter le désir : croissance qualitative, écocroissance
…. ? En effet, le terme de décroissance est souvent assimilé à croissance négative voire récession.
PA : Ce débat est aussi vieux que le courant  de la décroissance. Déjà, lorsqu'il y a une dizaine
d'années, on a tenu le premier grand colloque international qui a lancé le mouvement de la
décroissance, j'ai fait une intervention contre ce terme en disant qu'il ne fallait pas être seulement
sur le versant négatif mais aussi sur le versant positif. Par exemple, Marx n'a pas dit qu'il fallait
décapitaliser. Il est allé piquer à Babeuf le référent communiste. Si je pouvais proposer « sobriété
joyeuse », je n'avais rien qui soit à la hauteur, capable de fédérer la gauche et la droite de la
décroissance. Donc, je n'ai pas été suivi et le terme « décroissance » est resté. Et c'est tant mieux car
ce terme, avec ses limites, grâce à ses limites, remplit les salles. Cela ne veut pas dire que les gens
sont d'accord, cela veut dire qu'ils questionnent. C'est le premier objectif.
Mais bien sûr, le  terme décroissance est insuffisant. Serge Latouche, l'un des pères de la
décroissance, a toujours dit, lui, que le mot qu'il a dans la tête c'est l'a-croissance. Moi, le mot que
j'avais dans ma tête, c'est celui qui apparaît dans le Sarkophage, c'est l'antiproductivisme. Mais sur
choix d'un autre terme comme écocroissance, croissance rouge, croissance rouge, croissance verte,
tout ce que tu veux, je ne suis pas d'accord.  Il faut abandonner ce mythe de la croissance. Il faut
en finir avec le mythe d'une société d'opulence. On ne vivra pas tous demain comme des petits
bourgeois.
Alors, quel autre terme peut le remplacer ? Moi, aujourd'hui, je suis amoureux du « buen vivir », du
bien-vivre. Et j'aimerai que le Sarkophage, dont on va changer le titre puisque l'on peut espérer que
Sarkozy ne soit pas réélu, devienne le bien-vivre, en donnant à ce terme un contenu politique.
Q : La gratuité, le revenu garanti et le revenu maximal autorisé coûtent cher. Comment financer
?
PA : la gratuité n'est qu'un petit bout de la réponse. Ce n'est pas un projet de société. Le revenu
garanti n'est pas la fin du travail, mais c'est la fin du travail obligatoire. Il offre la possibilité d'un
travail libéré. Des expériences sur le long terme ont été menées au Canada (lire Baptiste Mylondo) :
les gens continuent à travailler, mais ils travaillent moins qu'avant.
J'ai tendance à penser que si l'on donne à chacun de quoi vivre, frugalement certes, mais de façon sécurisée, cela va inverser le rapport de force. Les gens seront plus exigeants sur leurs
conditions de travail et sur l'utilité de leur travail. Ainsi, plus de 60% des salariés français disent ne
pas aimer ce qu'ils font : ça ne les intéresse pas, ils ne voient pas l'utilité de leur travail. Avec un
revenu garanti, les choses se passeraient autrement. Le problème n'est pas comptable (il a été chiffré
par Patrick Viveret alors magistrat à a Cour des Comptes). Le problème est politique : veut-on aller
dans cette direction ?
Le revenu maximal autorisé (RMA) accompagne le revenu garanti. L'un va avec l'autre. Le RMA
est l'inverse du bouclier fiscal. Avec le bouclier fiscal, au-dessus d'un certain montant on ne prend
rien. Avec le RMA, au-dessus d'un certain montant à définir démocratiquement, on prend tout.  Et si
on prend tout, c'est pour au moins deux raisons :
 participer au financement du revenu garanti
 préserver l'unité du genre humain.
Rappel de Pascal Martinie : il a existé il n'y a pas si longtemps aux USA taux maximal
d'imposition quasi confiscatoire de 96%.
Q : Qu'en est-il du travail ? Globalement, dans le mouvement de la décroissance, il y a aussi une
décroissance du travail. Jean Gadrey, dans son dernier bouquin « Adieu à la croissance »
rappelle qu'au moins pour une période intermédiaire, il faudra plus de travail qu'aujourd'hui.
Par exemple, si l'on passe d'une agriculture productiviste à une agroécologie démécanisée sans
intrants chimiques, il faut bien plus de quantités de travail pour produire les mêmes quantités.
Autre exemple : l'énergie. Les énergies renouvelables nécessitent bien plus de travail que le
nucléaire. On en est où ?
R :  J'ai des nuances avec Jean Gadrey et avec …. moi-même. Le discours de la décroissance se
construit, se cherche. Peut-être par ce que je suis objecteur de croissance, je me méfie de la notion
de valeur du travail, car dans le milieu de la décroissance, c'est une référence des courants de droite.
Je préfère travailleur à travail. Le travail veut dire deux choses : d'un côté, étymologiquement, c'est
le tripalium, l'instrument de torture avec dans notre sous-culture c'est cette idée qu'il faut expier ses
fautes, travailler à la sueur de ton front, enfanter dans la douleur ; et d'un autre côté c'est un
instrument de socialisation. Ce qui me semble essentiel, c'est de ne pas parler du travail d'une
manière générale et de constater toujours que histoire du travail c'est l'histoire du dépouillement. On
dépouille les salariés de la plus-value, de la création de richesse, de l'identité du métier, de la fierté
du métier, des collectifs de travail, du syndicalisme, etc... La décroissance n'est pas la fin du travail,
c'est évident, c'est illusoire.
En revanche, pour penser les transitions, il faut à la fois continuer à lutter pour diminuer temps de
travail et effectivement demander la mise en place d'un revenu garanti. Le capitalisme insécurise, il
faut sécuriser.
Q : Ce qu'il se passe effectivement, ce n'est pas tout à fait ça. Les services publics sont attaqués
par le gouvernement. Tu as dit tout à l'heure qu'il faudrait deux enseignants par classe. Sur le
terrain, ce sont près de 900 postes en moins à la rentrée prochaine dans le Nord Pas de Calais.
Les services publics deviennent des Services Sociaux d'Intérêt Economique Général  (SSIEG).
La social démocratie française répond assez positivement à cette nouvelle conception des services
publics. Qu'en penses-tu ?
Sur l'échec des socialismes, j'intégrerais le socialisme réellement existant (le modèle soviétique), la
social démocratie reconvertie en social libéralisme et aussi l'échec d'un mouvement qui m'est très cher, celui du socialisme par en bas, du mouvement coopératif, qui n'est pas arrivé, effectivement, à
transformer la société. On s'est tous cassés la figure. Mais ce n'est pas pour autant qu'il faut
désespérer. Il faut reconstruire un nouveau projet, et, dans cette reconstruction, les services publics
sont un maillon essentiel. Chaque fois qu'on s'en prend aux services publics, on s'en prend aux plus
faibles. Les services publics sont une offre politique, une conception de la société en tant que telle.
C'est ce discours que j'ai voulu tenir lors des Etats Généraux des Services Publics : pour défendre
les services publics, il faut les revisiter et penser à certains éléments de gratuité. C'est dans ce sens
là qu'il faut aller. près, il y a un travail à faire : comment on fait concrètement. Mais au moins le
principe est posé . Ce dont on a besoin, c'est de quelques repères et d'une boussole, et après il faut se
mettre au travail pour pouvoir avancer.

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