mercredi 12 octobre 2011

Lordon chez Taddei, signe d'un pluralisme économique dans les médias ?


Daniel Schneidermann

Fondateur d'@rrêt sur image

Lordon chez Taddei, symbole de l'inversion

Réjouissante inversion des premiers et des arrière-plans : inversion, car l'opposition a du temps à rattraper. Si l'on comptabilise, dans le calcul, toutes ces années où l'on ne voyait que lui, où il parlait par mille bouches, la gauche ne fait même que commencer à rattraper son retard.
Sidérante illustration de l'inversion ? Frédéric Lordon était chez Taddei. Oui, vous avez bien lu, Lordon à la télé officielle, même si Taddei incarne la branche la plus ouverte de la télé officielle. L'émission avait commencé comme l'habituelle volière sur-saturée entre un mainate, un canari, et deux perruches. Et puis Lordon survint.
On lui avait taillé un plateau lordono-compatible : une seule contradictrice, très courtoise et légèrement confuse. En quelques minutes, ce fut un concentré de Lordon. Comment, oui, désolé, il faudra nationaliser les banques, qui prennent le crédit en otage. Comment, si l'on s'y prend bien, si l'on attend le bon moment, où l'on pourra les ramasser « à la pelle et au petit balai », cela ne coûtera rien aux contribuables.

Crise + primaire = révisions idéologiques ?

Ce mode d'emploi, les familiers de notre émission le connaissent déjà. Il l'avait déjà détaillé ici, en mai 2010 (il n'aura fallu qu'un an et demi pour qu'il puisse dire la même chose à la télévision ; pour ceux qui le découvrent, ils peuvent aussi faire leur rattrapage ici ou ici.) Mais qu'il ait le loisir de proférer de telles obscénités sur un plateau de la télévision publique, est le signe que les lignes bougent à grande vitesse.
L'effet conjugué de la crise et de la primaire pourrait bien conduire à des révisions idéologiques encore insoupçonnables hier. D'autant que Lordon, au milieu d'un plateau comme celui de Taddei, donne l'impression d'être le seul à proférer une pensée articulée, et à faire l'effort de poser sur le chaos de la situation les mots les plus justes, les moins jargonneux, et les moins timorés (menace des queues aux boulangeries, et du retour au potager). D'être le seul que l'on comprenne, comme si tous les autres s'efforçaient avant tout de masquer la déroute de leurs convictions.
Je repensais à ce que disait l'autre jour un autre économiste critique, Jacques Sapir, à Anne-Sophie Jacques : le jour où je serai invité chez Pujadas, ce sera le signe que les choses vont vraiment très mal. Un véritable pluralisme économique dans les médias mainstream ? Le droit d'y prononcer les gros mots (nationalisation, protectionnisme) ? On n'y est pas encore, loin de là, mais on dirait que ça progresse.

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