mardi 13 décembre 2011

Le délire financier et l’intégrisme monétaire


Les commentaires de ces jours-ci sur la crise de l’euro ne dissertent que sur le différend qui opposerait Mme Merkel à M. Sarkozy. La première, entêtée, ne voudrait pas entendre parler de modifier la politique de la Banque centrale européenne (BCE) à qui il est interdit de prêter aux États (art. 123 et art. 130 du Traité de Lisbonne consolidé, anciennement art. 101 et 108 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). Le second, réformateur en diable, voudrait que cette interdiction soit levée ou, au moins, atténuée. Tel est, nous dit-on, le match France-Allemagne. Et si cela n’était qu’apparence, et si, au fond, les deux gouvernements étaient d’accord sur l’essentiel ?


La BCE intouchable
La BCE, depuis qu’elle existe, n’a pas été une véritable banque centrale puisqu’elle ne jouait pas son rôle de prêteur en dernier ressort pour les États. Elle n’a vraiment joué ce rôle que pour les banques ordinaires, en laissant filer le crédit pour elles, sachant très bien à quoi il servait : faciliter la restructuration permanente des activités de placements financiers, c’est-à-dire encourager le casino mondial. La BCE, arc-boutée sur la lutte contre l’inflation sur les biens et services fermait les yeux sur l’inflation sur les actifs financiers, et cela au plus fort du gonflement des bulles financières successives. Pire encore, alors que la crise sévissait depuis plus de quatre ans, elle bradait le refinancement des banques à un taux dérisoire, ce qui permettait à celles-ci de profiter à plein des taux qu’elles exigeaient des États en manque de liquidités pour équilibrer leurs budgets. Après le pire, le comble : la BCE, obligée de réviser ses dogmes devant l’ampleur de la crise, ne peut pas faire autrement que racheter sur le marché secondaire les créances d’État dont les banques veulent se défaire parce que trop risquées. Coup gagnant double pour les banques et double peine pour les populations auxquelles la note est présentée via l’austérité.
Ainsi, Mme Merkel ne veut pas transiger : pas question de modifier les statuts de la BCE. En revanche elle propose de réviser les traités européens pour y inclure l’obligation de l’orthodoxie budgétaire. La boucle serait bouclée : on a l’orthodoxie monétaire et l’austérité salariale, on aurait en plus l’orthodoxie austère budgétaire. Un triptyque qu’aucun conservateur n’osait rêver.
Et M. Sarkozy ? Il dit banco à l’orthodoxie austère budgétaire et il est au top pour l’austérité salariale. Mais comme il a une réélection à assurer, il aimerait bien présenter aux Français une petite marge de manœuvre qu’il aurait dégagée. Mme Merkel n’en a rien à cirer.
Le compromis illusoire qui a été imaginé, c’est le Fonds européen de stabilisation financière (FESF), pour ne pas avoir à changer le statut de la BCE et pour laisser intact le marché des obligations d’État. En effet, ni la BCE, ni le FESF n’achèteront en première main les bons du Trésor émis par les États. Ces derniers seront toujours obligés d’emprunter sur les marchés financiers lorsqu’ils seront en déficit. Et le FESF empruntera lui aussi sur les marchés pour prêter éventuellement ensuite aux États s’ils sont en grande difficulté.

Sortir du gouffre
Si l’on en croit l’éditorial du Monde du 25 novembre 2011, journal bien-pensant du délire financier et de l’intégrisme monétaire, la faute revient à « la culture souverainiste de la France : les réticences génétiques de Paris à tout ce qui ressemble à une délégation de profit d’une instance communautaire qui serait chargée d’harmoniser les politiques budgétaires – sanctions à la clé ». C’est l’aveuglement face à la crise : pour sortir de la récession, il faudrait encore plus d’orthodoxie, celle-là qui nous a menés au désastre. Celle qui est en train de faire payer à l’Allemagne, suprême gardienne du temple, le fait d’avoir semé les graines de crise dans le temple : les marchés commencent à exiger de l’État allemand des taux croissants et à dédaigner son besoin d’emprunter puisqu’il n’a pu lever ces derniers jours qu’à peine un peu plus de la moitié des 6 milliards dont il avait besoin.
On ne badine pas avec une crise comme jamais. Quand la gangrène s’est installée, il faut amputer. Question de survie. Opérer quelques ruptures.
1.     On socialise le système bancaire.
2.     On annule toute la part des dettes publiques qui est illégitime après un audit de ces dettes.
3.     La BCE prête en première main aux États, c’est-à-dire on peut dorénavant monétiser les déficits publics lorsque les impôts ne suffisent pas à couvrir les dépenses publiques. La BCE rachète sur le marché secondaire les titres des dettes qui n’ont pas été annulées. Ces deux décisions stopperaient la montée des taux d’intérêt sur le marché des bons d’État dont la source est ainsi grandement tarie. Si on ne peut obtenir immédiatement cela dans la zone euro, ce qui est probable, on mène cette rupture au niveau de la Banque de France.
4.     On réforme radicalement la fiscalité pour la rendre très progressive.
5.     On brise les structures de la finance actuelle en interdisant les paradis fiscaux, la titrisation, les marchés de gré à gré, les produits dérivés, les CDS et CDO, et en instaurant une taxation sur toutes les transactions financières.

Ces cinq ruptures ont pour but de :
1.     Préparer la modification radicale de la répartition des revenus entre travail et capital par trois moyens : augmentation des salaires bas et modestes et des cotisations sociales ; fixation d’un revenu maximum (par exemple écart de 1 à 10 ; au-delà, taux marginal d’imposition de 100 %) ; réduction du temps de travail.
2.     Préparer la reconversion écologique de l’économie : cela signifie que la récupération des richesses que le capitalisme engloutit pour gaver les riches ne va pas entièrement directement aux travailleurs (point précédent) mais sert aussi à investir pour assurer la transition vers une société écologiquement soutenable qui soit socialement juste.
Source: Blog JM Harribey

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