dimanche 29 janvier 2012

L’humanité est davantage menacée par elle-même que par toute autre cause


Patrick Viveret est philosophe, auteur du rapport Reconsidérer la richesse
La plupart des problèmes que les humains croient avoir avec la nature sont en réalité la conséquence de leurs difficultés à vivre leur propre nature.
Le programme des Nations Unis pour le développement (PNUD) a montré, dans ses différents rapports mondiaux, que la plupart des grands maux physiques dont souffrait l’humanité, de la faim au manque d’eau potable, du manque de logement à la lutte contre les principales maladies infectieuses, pouvait être traitée pour des coûts dix fois moins élevés annuellement que ce que nous dépensons, en Occident, pour la seule publicité. C’est dire que la plupart des maux physiques de l’humanité renvoient en réalité à des maux psychiques.
Comme le soulignait déjà Gandhi, il y a suffisamment de ressources sur la planète pour répondre aux besoins de tous, mais pas assez pour satisfaire le désir de possession de chacun.
Il est vrai que, si pour reprendre un discours économique et médical dominant, la vie est un combat et la mort un échec, alors nous sommes condamnés à vivre autrui comme une menace et à attendre dans la solitude la fin d’une existence absurde. Il n’est guère étonnant qu’une telle vision génère, principalement en Occident, une angoisse collective qui se paie d’un désir de possession, de consommation ou de destruction destiné à nous étourdir en attendant le naufrage de la vieillesse dont la déroute est alors préparée significativement par ce que nous appelons la retraite !
Oui, c’est bien la peur, l’égoïsme, la dureté des cœurs, et l’aveuglement, et non la rareté des ressources matérielles et monétaires, qui sont à l’origine de la plupart des problèmes que nous vivons, qu’ils soient écologiques, politiques, culturels, sanitaires, ou sociaux. La haine d’autrui est liée à la haine de soi. Le mal-être et le mal de vivre, qu’ils soient personnels ou collectifs, sont des facteurs majeurs du désarroi de nos sociétés et de leur incapacité à construire, avec l’ensemble de nos compagnons d’humanité, un véritable développement humain réellement durable.
Pourtant, paradoxalement, cette menace intérieure de l’humanité par rapport à elle-même n’est pas considérée comme une question relevant du débat social et politique.
Toute question sur les enjeux psychiques du développement est renvoyée à l’espace privé, ou semble relever de la seule délibération intime des individus.
Il est temps de lier, sans les opposer, l’exigence d’un mieux être personnel, d’un mieux vivre ensemble collectif, et d’un rapport pacifié à la nature et au cosmos dont nous sommes les héritiers. Il est temps d’inventer les alternatives à toute forme de destruction.
C’est aussi cette perspective d’une véritable écologie humaine et d’une démocratie renouvelée qu’exprime l’émergence actuel d’un mouvement pour une citoyenneté planétaire qui soit aussi un mouvement pour un réel art de vivre. Ce projet est tout à la fois poétique, écologique, et politique et, pour reprendre la belle expression d’Edgar Morin, il exprime la recherche d’une "politique de civilisation".
La suite de l’aventure humaine dépend désormais de notre aptitude à mieux vivre notre rapport à nous-mêmes et aux autres, tout autant que notre rapport à cet Univers mystérieux qui a pu fabriquer, à travers nous, une vie capable de conscience.

Patrick Viveret

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