mardi 3 janvier 2012

Mario Monti, Goldman Sachs et les réseaux du pouvoir. Par Geoffrey Geuens

November 28, 2011
MÉDIAS ET AUSTÉRITÉ

L’équipe de Mario Monti : un gouvernement de « techniciens » ?

Par Geoffrey GEUENS

Passés de la dénonciation virulente des « marchés financiers » – expression désincarnée du capitalisme – à la pédagogie de l’austérité, en à peine quelques mois, les médiateurs de la doxa se sont métamorphosés en gardiens de l’ordre. Le temps de la mise au pas des banquiers est révolu. Il convient dès à présent de « rassurer » les marchés, de « garder » la confiance des agences de notation et d’appliquer autoritairement ou non les politiques de désendettement public et de restructuration du marché du travail et des régimes de pension « réclamées », depuis si longtemps, par la Commission européenne.
Pour atteindre ces objectifs, sans devoir recourir à des mesures de répression policière –toujours désastreuses en termes d’image – les oligarchies financières du Vieux Continent ont entrepris depuis plusieurs mois déjà une lutte idéologique de tous les instants. Dans cette guerre des idées, le monde des affaires peut compter sur le soutien des « pros » des médias qui, hier encore, n’avaient pas de mots assez durs pour dénoncer la dictature de l’argent et la soumission des pouvoirs publics aux diktats du marché. Engagées à grands renforts de phrases chocs et d’intempestives joutes verbales entre débatteurs autorisés, les controverses journalistiques sur la crise, aussi pertinentes qu’elles puissent paraître, ne sauraient éluder l’essentiel : qu’elles relaient les positions défendues par les adeptes d’une austérité implacable ou qu’elles endossent les thèses des partisans d’une « rigueur juste », les rédactions des grands médias, privés comme publics, considèrent, avec plus ou moins d’enthousiasme, la crise comme une opportunité pour « assainir » les finances publiques, « réformer » les systèmes de retraite et accélérer la dégressivité du chômage.
Si cette campagne médiatique, en Belgique comme en France, est menée de front par les économistes-banquiers consacrés par la presse elle-même, les dirigeants des principales organisations patronales et les penseurs les plus représentatifs de l’influence croissante des think tanks dans l’espace public, cette entreprise de désinformation, qui jamais ne dit son nom, ne saurait être efficace sans la contribution majeure des journalistes à cette cause. Qu’ils défendent sciemment les intérêts du monde des affaires, ce qui est le cas de  certains d’entre eux ; qu’ils se fassent, parfois même à l’insu de leur plein gré, les porte-paroles de la formation politique au pouvoir qui a leur préférence – les cross-over entre les métiers de l’information et de la communication favorisant ces dérives systémiques –; ou qu’ils soient sociologiquement disposés à se faire le relais des positions des milieux économiques dominants – la dégradation de leurs conditions de travail se traduisant par une dépendance accrue aux sources institutionnelles – ; les journalistes sont, dans cette histoire en train de s’écrire, tout sauf des observateurs neutres de la vie économique et politique.
Cette construction orientée de l’actualité dont il est question pourra prendre différentes formes : il s’agira, tantôt, de l’organisation de faussement vrais débats, pour reprendre la formule de Pierre Bourdieu ; tantôt encore d’éditoriaux alarmistes sur l’état des finances publiques et l’impérieuse nécessité de mener les réformes « dont le pays a tant besoin » ; tantôt enfin de dossiers réalisés à l’occasion de la publication d’un énième rapport de la Commission ou de l’OCDE recommandant l’adoption de mesures « douloureuses ». Enfin, il convient d’être attentif au fait que la légitimité des positions adoptées par les tenants de la rigueur – entre rhétorique de l’urgence et du déclin – repose essentiellement sur le capital symbolique de ceux qui les défendent et ce, comme tout discours d’importance. A cet égard, on ne peut être qu’interpellé par les termes utilisés par la presse pour rendre compte de la nomination de « Super Mario » au poste de Président du Conseil italien. Là encore, un travail journalistique un tant soit peu sérieux aurait permis de conclure à une forme de « coup d’état » plutôt qu’à la mise sur pied d’un gouvernement d’experts et de technocrates, sinon même, pour les plus audacieux, un gouvernement de la société civile. C’est pourtant bien en ces termes, convenons-en singulièrement pudiques, que nombre d’éditorialistes, de politologues et d’économistes « avisés » ont donné à voir à l’opinion le nouveau gouvernement italien. Les commentateurs un peu plus rigoureux ont insisté, de leur côté, sur le fait que l’équipe Monti comptait dans ses rangs des « professeurs, des avocats et un banquier. » Des « professeurs » : on ne saurait, bien évidemment, avancer meilleur titre de scientificité et d’expertise ? Sauf qu’à y regarder d’un peu plus près, ces économistes consacrent une partie non négligeable de leur temps de travail à siéger aux conseils d’administration des plus puissants trusts financiers de la péninsule (UniCredit, Intesa Sanpaolo, Mediobanca, Generali) et/ou des holdings contrôlées par les plus riches fortunes italiennes.

Passage en revue des troupes :

Mario MONTI : Président du Conseil, ministre de l’Economie et des Finances
(Président de la Bocconi University, ancien commissaire européen)
Conseiller international de Goldman Sachs
Conseiller international de Coca-Cola
Administrateur du Barilla Center for Food & Nutrition
Ex-administrateur de Fiat (famille Agnelli)
Ex-administrateur d’Assicurazioni Generali
Ex-administrateur de Banca Commerciale Italiana (intégrée au trust financier Intesa Sanpaolo)
Ex-administrateur d’IBM Italia
Corrado PASSERA : Ministre du Développement économique
(Administrateur de la Bocconi University)

PDG d’Intesa Sanpaolo
Administrateur de Finmeccanica (sécurité/défense)
Administrateur RCS Media (actionnaires : Intesa Sanpaolo, Mediobanca, famille Agnelli et Pirelli)
Administrateur de la holding Olimpia (familles Pirelli, Benetton)
Ex-vice-président du Gruppo Espresso (famille De Benedetti)
Elsa FORNERO : Ministre du Travail et des Politiques sociales
(Professeur d’Economie à l’Université de Turin, « spécialiste » des pensions)
Vice-présidente d’Intesa Sanpaolo

Francesco PROFUMO : Ministre de l’Education, des Universités et de la Recherche
(Recteur de l’Université Polytechnique de Turin, président du Conseil national de la Recherche)
Administrateur de Telecom Italia (actionnaires : Intesa Sanpaolo, Generali, Mediobanca)
Administrateur de Il Sole 24 Ore (filiale du groupe multimédia contrôlé par le patronat italien)
Conseiller d’Innogest SGR (société de capital-investissement)
Ex-administrateur d’UniCredit Private Bank
Piero GNUDI : Ministre du Tourisme et des Sports
Président honoraire de la compagnie pétrolière ENEL
Administrateur d’UniCredit Group
Administrateur de Il Sole 24 Ore (filiale du groupe multimédia contrôlé par le patronat italien)

Piero GIARDA : Ministre en charge des Relations avec le Parlement
(Professeur de Finances publiques à l’Université catholique de Milan)
Vice-président de la Banco Popolare
Administrateur de Pirelli (famille éponyme)
Pour en savoir plus sur les travaux de Geoffrey Geuens, vous pouvez lire son ouvrage “la finance imaginaire” aux éditions Aden: http://www.aden.be/index.php?aden=la-finance-imaginaire

Source: www.jolimai.org

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