samedi 18 février 2012

Grèce: «L'Europe porte une lourde responsabilité dans le naufrage»


Rencontre avec Manolis Glezos, figure de la gauche  radicale grecque.

Héros de la Résistance (c’est lui qui a arraché, le 30 mai 1941, le drapeau nazi qui flottait sur l’Acropole), Manolis Glezos, 85 ans, est une figure emblématique et unanimement respectée de la gauche radicale grecque : les violences policières qu’il a subies le 12 février dernier, alors qu’il manifestait contre l’austérité avec le compositeur Mikis Theodorakis, ont suscité chez ses compatriotes une vive indignation. Il revient ici sur la crise qui frappe son pays, et sur les moyens, selon lui, d’en sortir.

Bakchich : Quel regard portez-vous sur la crise grecque ?

Manolis Glezos : Ses origines sont multiples : nous sommes bien sûr victime de l’avidité des spéculateurs, et de l’impéritie de nos propres gouvernants, qui n’ont cessé, par exemple, de consentir aux riches toujours plus d’exonérations fiscales, en même temps qu’ils ponctionnaient toujours plus durement les pauvres. 


La commission nous voit comme un site touristique

Mais l’Europe porte aussi une lourde responsabilité, dans le naufrage de la Grèce. Quand j’étais député au Parlement européen, où j’ai été élu en 1984, je me suis rendu compte, par exemple, que rien de ce qui aurait pu aider notre agriculture n’était jamais approuvé. La Commission obligeait de nombreux pays à acheter des produits européens, plutôt qu’américains, ou japonais. En contrepartie : l’Europe leur achetait leur production agricole. Mais la Grèce a été systématiquement tenue à l’écart de ces facilités. De la même façon, nous disposons d’importantes ressource naturelles, et de très conséquents gisements de matières premières : nous aurions donc pu développer une industrie florissante. Mais une fois de plus : la Commission n’a jamais voulu en entendre parler -  privilégiant, là encore, d’autres pays. Nous aurions par exemple pu couvrir seuls la totalité de nos besoins énergétiques en développant des énergies vertes, éolienne et solaire – mais là non plus la Commission n’était pas d’accord : ces gens voient la Grèce comme un site touristique, et voudraient en faire le grand hôtel de l’Europe.


Reste une dette écrasante…

À ceci près que nous l’avons, de fait, déjà payée : cette fameuse dette ne correspond nullement au capital que nous avons emprunté, et que nous avons déjà remboursé - mais à ses monstrueux intérêts.


Que l'Allemagne nous dédommage

Comment en sortir ?

Que l’Allemagne, qui nous accable d’une particulière sévérité, commence par nous rendre les dizaines de milliards d’euros qu’elle nous doit depuis la fin de la Seconde guerre mondiale ! Les Allemands ont dédommagé la France, l’Angleterre, les États-Unis, l’Union soviétique : nous demandons, nous aussi, réparation ! D’autre part, nos voisins européens consacrent 4 à 12 % de leur budget à l’armement : comment se fait-il que ce poste représente 24 % de nos investissements ? Comment s’explique le « miracle économique » allemand ? Très simplement : pendant dix ans, l’Allemagne, au sortir de la guerre, a été interdite de dépenses militaires. Au regard de notre situation actuelle, nous devrions donc prioritairement décider un gel de ces dépenses, pour dix ans. Et bien sûr, nous devons mieux réguler notre économie : en mettant fin, par exemple, aux exonérations d’impôts dont bénéficient nos concitoyens les plus riches, et en réduisant l’imposition des plus pauvres. Ce n’est qu’à cette condition que nous pourrions lancer une sorte de grand emprunt intérieur – obligatoire pour les contribuables les mieux nantis, facultatif pour les plus modestes.

Vous en voulez à l’Europe ?

Contrairement à ce que semblent croire certains de nos voisins, qui souhaiteraient manifestement que nous quittions l’Union : la Grèce fait partie de l’Europe – et c’est très bien ainsi. Nous sommes, nous, partisans d’une Europe réellement unie, et réellement indépendante – et qui par exemple n’aurait plus besoin de l’OTAN. Et, prenez-y garde : ce qui se passe en Grèce peut se produire demain dans d’autres pays européens, même chez vous. Les ressorts seraient sans doute un peu différents, mais la crise pourrait frapper la France tout aussi durement – car vous aussi, vous êtes fortement très fortement « endettés ».

Propos recueillis par Yann Lévy et Leo Kekemenis

Source: Bakchich

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