lundi 13 février 2012

Mis à Jour le : 12 février 2012  15:32
La Grèce en attente d’un sursaut, par Grigoriou Panagiotis
12 février 2012
« Les gens sont perdus. Certains se referment dans le monde du silence, se laissant mourir à petit feu. Notre sociabilité se trouve grièvement blessée. Des amis se cachent pour ne plus avoir à exposer publiquement leur nouvelle situation, où nous avons cessé de pouvoir encore nous payer un café ensemble. Si on y ajoute le combat pour la survie, la destruction des repères, et plus « pratiquement », l’impossibilité d’instaurer des entractes réellement festifs dans l’immédiat ou dans le moyen terme, pour retrouver les siens, voyager, c’est alors l’effondrement psychologique. » L’abattement qui commence à gagner le peuple grec, sonné par tant de mensonges de sa classe politique, et en proie à une misère toujours croissante, n’aura qu’un temps, estime l’anthropologue Grigoriou Panagiotis, qui prévoit que « nous tenterons sans aucun doute autre chose. »
par Grigoriou Panagiotis, 9 février 2012
En Grèce, depuis l’arrivée de la Troïka nous devenons tous une... atmosphère. Dans des conditions de laboratoire et sous pression. Par modélisation exemplaire et accélération des particules, élémentaires si l’on préfère. Et ces particules c’est bien nous. L’accélérateur quant à lui, relève de la mécanique du dernier méta-capitalisme bancocrate. Cela a bien fonctionné à un tel point que maintenant nous pouvons sans peur nous regarder dans le miroir du futur pour nous apercevoir que nous sommes déjà des mutants.
A commencer par notre régime politique, cette pseudo-democratie, mollement parlementaire et durement affairiste, devenue désormais une quasi-dictature après trois putschs réussis. Le premier, en 2009, s’est déroulé lors des élections, alors encore « libres ». Le PASOK (P.S. grec) arrive au pouvoir devançant de dix points la droite. Georges Papandréou, ami de Geοrges Soros, grand cosmopolite (l’expression est de lui-même) et apparemment plus à l’aise dans la syntaxe de son pays natal, les États-Unis, que dans la grammaire balkanisée du grec moderne, habille alors sa piètre rhétorique comme il le peut. Et les grands médias lui orchestrent convenablement l’image. Sa campagne est déjà un Case Study mais je parie qu’il y en a d’autres en Europe en ce moment en passe de devenir aussi cas d’école.
« Le citoyen d’abord », « rupture avec les pesanteurs du passé », « gouvernance électronique », « allons-y, tous ensemble », « finissons-en avec la dictature des marchés », « prenons des mesures pour réconforter les citoyens les plus fragiles, surtout ceux qui ont emprunté de l’argent et doivent faire face à la crise », « faisons de la Grèce, le Danemark du Sud », « de l’argent il y en a », « nous sommes prêts pour la croissance verte, les nouvelles technologies et l’écologie », « augmenter les impôts, la TVA par exemple, est un crime contre les plus faibles et conduirait l’économie tout droit à la récession ». Voilà le synopsis de la rhétorique de ce premier coup d’État.
Aussitôt au poste de Premier Ministre, élu le 4 octobre, et prenant ses fonctions le 6, le socialiste Georges Papandréou ayant donc mené toute sa campagne sur la redistribution des richesses et la hausse des salaires de fonctionnaires, il annonce encore son intention de « prendre des mesures d’urgence pour améliorer la compétitivité du pays car l’économie se trouve dans une situation critique, ayant hérité des dettes cachées du précèdent gouvernement, mais tout en protégeant les revenus des plus fragiles, augmentant les petites retraites, augmentant dès 2010 les salaires et les retraites plus que l’inflation, en gelant les tarifs du gaz et de l’électricité, en rénovant le système de santé, en renforçant également les moyens de la Sécurité sociale, afin de permettre finalement au citoyen l’accès à un système de santé de haute qualité et gratuit, en renforçant aussi le système éducatif, lui attribuant dès le budget 2010, un milliard d’euros supplémentaires ». Enfin Papandréou s’est dit « déterminé à renforcer le rôle du Parlement dans le processus décisionnel de notre régime démocratique ».
La suite est désormais connue. Georges Papandréou, en bon préparateur de commandes, a apporté le pays entier et sur un plateau, aux banquiers charognards impériaux (BCI !). Nous en avons déjà eu la confirmation en découvrant le documentaire de Canal + « Un an avec DSK - Au cœur du FMI » en mars 2011. Nous apprenons alors par Dominique Strauss-Kahn en personne, que le premier ministre grec fraîchement élu avait contacté très discrètement le FMI fin 2009. Or, il proclamait haut et fort dans le même temps que son pays s’en sortirait très bien tout seul, et ceci jusqu’au printemps 2010. « Papandréou m’avait appelé très tôt, dès novembre-décembre 2009 en disant qu’il avait besoin d’aide », révèle dans la vidéo Dominique Strauss-Kahn. « Le premier ministre avait très bien conscience qu’il avait besoin d’aide [du FMI]. »
Or, la demande officielle du gouvernement grec est seulement intervenue au printemps 2010. Le plan de 110 milliards d’euros de prêts octroyés conjointement par le FMI et l’Union européenne sera rapidement mis sur pied, malgré la cacophonie apparente entre les dirigeants européens. « Quand le FMI est venu, on a fait le travail en 15 jours », s’est vanté Dominique Strauss-Kahn. « C’est parce que durant les mois précédents, on avait travaillé souterrainement avec les Grecs. (...) Tout ça parce que les Grecs eux souhaitaient une intervention du FMI même si Papandréou pour des raisons politiques n’affirmait pas ça. »
Ce scénario fait désormais partie de notre vécu... en pédagogie politique. L’agence de notation Fitch dégrade la note de la Grèce de Α à Α- le 22 octobre 2009, pratiquement dès la mise en fonction du nouveau gouvernement. Le 21 janvier 2010 le « spread » entre les obligations allemandes et grecques à 10 ans atteint les 300 points de base (3%).
Comme par hasard, une semaine plus tard au Forum Économique de Davos, Georges Papandréou est invité à prendre des mesures d’austérité. La Grèce « accepte » le Mécanisme dit officiellement « de soutien économique », institué par le Fond Monétaire International, l’Union Européenne et la Banque Centrale Européenne, mécanisme alors connu depuis, sous le nom de « Troïka », ainsi que ses représentants ou émissaires - contrôleurs en route pour Athènes autour du 23 avril 2010.
Cinq jours plus tard, l’agence de notation Standard & Poor’s dégrade la note de la Grèce de ΒΒΒ+ à ΒΒ+ et le « spread » des obligations grecques à 10 ans atteint les 1000 points (10%).
Au départ, il était question de la dette dite souveraine du pays, 300 milliards d’euros et 143% de son PIB en 2010, pour en arriver après la « thérapie de choc », infligée à la majorité des Grecs, à une dette ... encore plus souveraine atteignant les 360 milliards d’euros, représentant 166% du PIB du pays en 2012. La Troïka et le gouvernement grec, ont alors signé trois documents liés, le Traité du Nouveau Prêt et l’accord avec le FMI, accompagnés d’un Mémorandum, une feuille de route en somme obligatoire, sur les mesures à prendre ... « pour s’en sortir ».
Aucun gouvernement grec depuis n’a osé faire valider ce Traité devant les parlementaires, suivant la procédure prévue par la Constitution pour ce type d’engagement si crucial pour le pays (analyse de Giorgos Kasimatis, universitaire et juriste constitutionnaliste). C’est finalement seulement le Mémorandum qui fut approuvé après maintes péripéties à l’Assemblée le 6 mai 2010, provoquant la première défection de trois députés socialistes.
La Grèce Mémorandienne s’embourbe depuis, dans une série de réformes prétendument censées la rendre compétitive, s’agissant plutôt, d’une variante de la Stratégie du choc et de l’interminable montée de son capitalisme du désastre (Naomi Klein).
Baisse des salaires dans la fonction publique et dans le secteur privé, augmentation en flèche des impôts, dérégulation de l’accès à certaines professions, démantèlement des conventions collectives, réduction des effectifs partout. Nous avons alors connu des grèves à répétition, et nos manifestants, surtout très nombreux du temps des « Indignés » durant l’été 2011, furent violemment réprimés devant le Parlement et sur la Place de la Constitution (Syntagma). Toute la planète avait alors compris qu’il fait désormais un temps de chien à l’ombre du Parthénon, découvrant par la même occasion notre célèbre chien-manifestant, Loukanikos (Saucisson). Voilà pour un sommaire du deuxième putsch.
La troisième phase du Putsch en Grèce fut la mise en place de la gouvernance directement bancocrate de Papadémos, début novembre 2011. Initialement « composée de trois formations, P.S., droite et extrême droite, ayant comme seule mission de parapher le Mémorandum II, autrement dit le nouvel accord avec les « marchés » et aussitôt conduire le pays aux élections prévues pour février 2012 ». Son vrai rôle est d’achever la mise en place de l’occupation.
Ce que les Papadémiens viennent de parapher hier soir paraît-il, est tout simplement la première occupation officielle des temps nouveaux en Europe. Soulignons que la « dette » deviendra alors « applicable law » suivant le droit anglais, les « évaluations » des agents de l’État seront faites par une structure française en vue de licenciements dans la fonction publique ; la collecte des impôts, la gestion en somme de l’État profond, est en passe d’être transférée vers l’Allemagne, laquelle a déjà créé un Secrétariat d’État aux affaires grecques. Il s’agit du secrétaire d’État allemand à l’Emploi et aux Affaires sociales, Hans-Joachim Fuchtel, homme de confiance d’Angela Merkel. En expérimentant le premier défaut (contrôlé ?) d’un pays de la zone euro, c’est à dire déjà l’intérieur d’une zone d’occupation monétaire (pays classé ZOM !), préalablement établie depuis une décennie sous un nuage de propagande. C’est la variante applicable aux Baronnies sous mandat, de la Règle d’or.
Dès hier (mercredi) des parlementaires socialistes ont fait circuler une pétition au sein du Parlement pour soutenir une prolongation du mandat Papadémien, jusqu’à la fin de la législature, à savoir 2013. Les structures alors « définitives » du « pays réel » bancocrate se referment sur nous. Et jusqu’ici, pas de révolte. Car nous avons déjà été déconnectés du vrai lien politique (comprendre, agir, prendre en main la situation collective, contrôler les politiques notamment) en plus de la corruption gonflée par les fonds structurels de l’U.E. et par les pots de vin divers et variés.
La culture, la langue, la musique furent en quelque sorte détruites et avec elles, tout un système de réflexion et d’action. Ce processus a pris trente ans, télévision, « life style », consommation, argent et crédit faciles, la musique de Theodorakis, d’Hadjidakis, étant entièrement bannies des radios, et en dernière instance, une culture « loisirs domestiques » dont la composante désastreuse consiste à nous tenir enfermés chez nous.
Depuis la mise en place de la Troïka, les nouvelles mesures tombent quotidiennement : nous apprenons de mauvaises nouvelles tous les jours et nous subissons une mithridatisation certaine. D’où notre mutation. Déjà dans le vocabulaire, « CDS », « spreads », « PSI », « FMI », « Debt », « Agences de notation », « triple A », « double C », termes relevant déjà de la sémantique du désastre.
Nos neurones explosent, nous devenons incapables d’aller au-delà, nous sombrons dans les psychotropes (le gouvernement Papadémien vient tout juste de dépénaliser l’usage de la drogue dite « légère »), nous sombrons aussi dans l’alcool et le suicide. Ainsi, leur stratégie est digne du meilleur interrogatoire des temps totalitaires. Tantôt on annonce l’arrêt des mesures d’austérité, mais c’est pour en annoncer d’autres. Les règles concernant les retraites ont changé une bonne douzaine de fois depuis 2010.
Et les gens sont perdus.
Certains se referment dans le monde du silence, se laissant mourir à petit feu. Notre sociabilité se trouve grièvement blessée. Des amis se cachent pour ne plus avoir à exposer publiquement leur nouvelle situation, où nous avons cessé de pouvoir encore nous payer un café ensemble. Si on y ajoute le combat pour la survie, la destruction des repères, et plus « pratiquement », l’impossibilité d’instaurer des entractes réellement festifs dans l’immédiat ou dans le moyen terme, pour retrouver les siens, voyager, c’est alors l’effondrement psychologique, donc l’apraxie. Avec en plus, la répression policière et la mise en place d’un terrorisme économique via les impôts dignes du servage, le fichage, le chantage, dans la fonction publique notamment.
Croyez-moi, chers amis, cette stratégie du choc n’est pas une illusion. Je le savais fort bien et je le disais haut et fort lors des manifestations massives de 2010 et 2011, tant que les gens et leurs proches avaient encore un petit salaire ou des réserves pour tenir, ils étaient encore capables d’analyses et de revendications, disons de type « classique », mais les partis de gauche n’ont pas pu ou voulu saisir le tournant et la droite dite populaire (pas populiste) était encore inexistante pour en constituer un nouveau pôle anti-Mémorandum, faisant par exemple scission avec son principal parti. Ajoutant in fine l’abolition accélérée de notre économie et nous aboutissons à un tableau bien triste !
Nous nous sentant déjà ancrés à la solution finale bancocrate, nous tenterons sans aucun doute autre chose. Mais quoi ? Tout est dans l’air. C’est la raison pour laquelle, selon certaines informations de la presse grecque (mercredi 8/2/2012), la chaîne CNN serait en train de louer l’ensemble du 6eme étage au prestigieux hôtel « Grande Bretagne », place de la Constitution (Syntagma), en face du Parlement et ceci parait-il pour plusieurs semaines, « s’attendant à la bataille d’Athènes ». Alors, 6e étage comme 6e avenue à New York (Bank of America Tower et Rockefeller Center) ?
Il semblerait aussi que les ambassades ici à Athènes, préviennent leurs ressortissants d’un manque à craindre de produits alimentaires et de carburant. Nous, nous avons déjà constitué des réserves dans les caves et dans les placards. Avez vous évoqué la possibilité d’une guerre ? Ou d’une « Règle d’or » comme équivalent d’une « Conférence de Wannsee » ?

Source Grigoriou Panagiotis , texte publié en accord avec l’auteur.

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