mercredi 20 novembre 2013





Tous les Bretons ne portent pas de bonnet rouge

lefur
J’ai écrit le billet précédent à chaud, sous le coup d’une colère noire. C’était au début de la révolte des “bonnets rouges”, lorsque la presse se faisait écho d’un espèce de mouvement unanime des Bretons, tous coiffés d’un bonnet rouge fabriqué sur leurs terres (qu’ils gardaient précieusement dans leur grenier depuis la révolte de leurs ancêtres en 1675) qui se soulevaient face un acharnement fiscal insupportable matérialisé par la fameuse écotaxe, qui provoquait la chute en série de nombreuses entreprises bretonnes.
Ce billet a eu un gros succès, inédit depuis que Marianne m’a laissé tomber comme une merde. C’est même la première fois qu’il tourne autant sur Facebook. Sans doute avais-je vu juste, notamment sur le fait que tous les Bretons ne se reconnaissent pas dans ce fatras. Même s’il n’y a pas besoin d’être breton pour comprendre la détresse et la colère de salariés qui vont se faire virer.
Sans avoir tous les éléments, il était déjà clair que rien ne collait là-dedans. Et que, la fumée des incendies de portiques se dissipant, on commence à mieux comprendre la situation. Ultime humiliation : même les bonnets utilisés par les manifestants de Quimper ne venaient pas de Bretagne. Pas de Tunisie non-plus, comme pourtant la majorité de la production d’Armor Lux, mais… d’Ecosse. Pitoyable.
Un petit “détail”, pour commencer. Les bonnets rouges font de la récup à caractère “communautariste”, de manière insupportable. “Les Bretons” ceci, “les Bretons” cela, “les Bretons” ne se laisseront pas faire, “les Bretons” ont décidé de, “les Bretons” lancent un ultimatum…
Au risque de me répéter, les Bretons, même s’ils sont attachés à leur région (comme je le suis moi-même), ne sont pas taillés dans un monolithe de granit, ils sont aptes à penser de manière autonome, et en particulier ils ne sont pas tous d’accord avec la mentalité, le comportement et les revendications des “bonnets rouges”.
Et il est toujours salutaire de se repasser périodiquement “La ballade des gens qui sont nés quelque part”  de Brassens. C’est de la bonne prophylaxie contre la maladie du bonnet rouge.
Malheureusement pour eux, les chiffres sont accablants, et réfutent leur théorie : même si des usines ferment en ce moment en Bretagne, ce n’est hélas pas très différent de ce qui se passe un peu partout, et même “moins pire”. Tant le nombre de chômeurs que le salaire moyen ou le nombre d’habitants sous le seuil de pauvreté sont moins mauvais que la moyenne nationale. L’actualité immédiate le rappelle : Fagor, La Redoute, Goodyear ne sont pas en Bretagne. Des licenciements se produisent partout, à une moyenne de 1000 par jour depuis des années, et ce ne sont pas les rodomontades incantatoires et la méthode Coué de Hollandréou qui peuvent changer le constat : la “crise” (je mets des guillemets car le mot est impropre : une crise est par essence passagère, et ce n’est pas le cas ici !) frappe partout, et même s’il y a des particularités bretonnes (l’agriculture productiviste, les subventions…) la Bretagne n’échappe pas au sort commun.
Le directeur de Marianne, Maurice Szafran, a écrit un billet au titre racoleur : “Et voilà que Mélenchon insulte les Bretons”. Passons sur la compétence dans ce domaine de Maurice Szafran, qui ressemble davantage à un Parigot du XVIe, banquier ou marchand de biens qu’à un Breton planteur d’artichauts ou trucideur de gorets. Mais de surcroît il se trompe. D’abord sur ce coup-là, Mélenchon n’insulte pas, il ne dit que ce que je dis moi-même, et qui est hélas assez proche de la vérité. Qui en l’occurrence blesse, mais c’est ainsi. Ensuite, il ne s’agit pas “des Bretons”, mais de “certains Bretons”, représentants ou idiots utiles du MEDEF et des syndicats agricoles productivistes, industriels en production de merde de masse.
Là ou Szafran a par contre raison, c’est lorsqu’il constate que Mélenchon ne convainc pas, que la colère contre le nullité crasse et les trahisons d’Hollandréou ne lui profite absolument pas, et c’est la mère Le Pen, aux origines bretonnes elle aussi (mais qui ne fait pas recette en son pays), et dont le niveau de finesse présente de nombreuses similitudes avec celui des bonnets rouges, qui a le vent en poupe.
Revenons d’abord sur les instigateurs (ou les récupérateurs) de cette colère. Ces manifs peuvent essentiellement être rangées dans la catégories des “manifs de droite”, un peu comme les manifs ridicules autant que démesurées contre le mariage homo. Des gens dont le but serait davantage de faire tomber Hollandréou sous n’importe quel prétexte. Désormais, la violence s’étend, puisque d’autres équipements, portiques mais aussi radars, sont vandalisés (à nos frais) dans toute la France. Merret et ses amis font les hypocrites, genre “c’est pas nous”. Rappelons tout de même aux amnésiques que ce sont eux qui ont commencé à faire preuve d’une folie démolitionniste aux abords du portique de Pont de Buis.
J’avais parlé du syndicaliste ultraproductiviste Thierry Merret, dirigeant de la FDSEA du Finistère. Mais depuis lors, le porte-parole des bonnets rouges dans les médias, c’est surtout le député UMP breton Marc le Fur qui est accessoirement vice-président de l’Assemblée Nationale.
Avec ce gars, on tient assurément un sacré phénomène. Un ringard de la pire espèce, catho de la variété la plus rance, bien dans la ligne de la droite bretonne. De surcroît énarque, comme tous les Bretons, bien entendu.
Il y a d’abord cette polémique avec Politis sur son vote de l’écotaxe, qu’il conteste malgré les preuves. Je ne crois pas que ce soit important. Le Fur est un député UMP, godillot par essence, et il lui est interdit de voter différemment de ce que le parti a décidé. Et si quelque chose devait le gêner dans l’écotaxe, c’est avant tout que ce soit une taxe.
Tiens, une devinette. Qui a dit : “Il faut moins d’impôts et plus de liberté d’entreprendre”.
A priori, ce n’est pas facile, cette phrase aurait pu être prononcée par n’importe quelle andouille ultralibérale, de Friedman à Thatcher, de Reagan à Madelin, du patron du MEDEF à celui de l’UMP, de Jean-Marc Sylvestre à Nicolas Demorand, par des Marine le Pen ou des Geoffroy Didier, voire même par un nombre grandissant de gens qui osent encore se prétendre “socialistes”.
Bon, la réponse est facile, j’en parlais à l’instant, vous avez sa trogne réjouie en illustration de ce billet, c’est bien Marc le Fur. Ben ouais, grâce à ce merdier, il cause désormais dans le poste tous les jours. Il a donc prononcé cette phrase révélatrice dans l’émission de radio “Les grandes gueules” sur RMC, il y a quelques jours. Non, je n’écoute pas cette radio, mais il était tellement fier de sa prestation qu’il a retweeté cette ânerie, pourtant réfutée des milliards de fois :
Appliquée à l’industrie, ça donne la mondialisation, les délocalisations en Chine ou en Roumanie. Appliquée à la finance, ça donne les subprimes. Et appliquée à la Bretagne ?
Marc Le Fur est député du département dont je suis originaire : les Côtes
de porc d’Armor. Plus exactement il représente le sud rural du département (par opposition au nord maritime plus touristique), où l’on trouve une concentration abracadabrantesque de porcheries industrielles, ces épouvantations. Ce type est même président des “amis du cochon”, un lobby qui n’est que le prétexte à faire rentrer les pontes de l’industrie agroalimentaire dans ce qu’elle a de plus caricatural à l’Assemblée Nationale. Et on parle bien d’industrie, d’usines, de camps d’extermination pour animaux, ça n’a plus rien à voir avec la paysannerie dont on essaie de récupérer le capital de sympathie. Le Fur, c’est son obsession, le cochon. Il en est tellement imbibé qu’il en est même devenu l’incarnation.
En breton, “Le Fur” signifie “Le sage”. A croire qu’il y a eu échange dans le berceau avec le ministre de l’agriculture, Le Foll, dont le patronyme lui siérait assurément davantage. Car en bon libéral, ce mec est un fou dangereux. L’application concrète de sa maxime sur la “liberté d’entreprendre”, c’est d’installer des porcheries partout. La preuve, sa mesure vedette, qui a d’ailleurs été votée par les “socialistes” au nom de la lutte contre la “bureaucratie qui plombe les zentrepreneurs et nuit à la compétitivité®” : porter de 500 à 2000 le nombre de cochons en dessous duquel on peut installer sans autorisation une porcherie. Deux mille cochons, vous imaginez l’horreur ? D’autant que suivant une coutume locale fort répandue, il suffira de monter un deuxième bâtiment à quelques mètres du premier pour s’arranger avec toute “tentative bureaucratique insupportable de brider l’esprit d’entreprenariat®”.
Grâce à Le Fur et à ses semblables (car ce n’est hélas pas un cas unique), nous en sommes arrivés, comme je l’ai déjà écrit cent fois, à ce que les Côtes d’Armor hébergent 10 cochons pour un habitant, et que le département doive gérer 30 fois plus de déjections (appelons les choses par leur nom : de pisse, de merde) d’origine cochonesque que celles d’origine humaine pour lesquelles les choses sont déjà compliquées. Avec les conséquences les plus connues que sont les algues vertes et l’eau du robinet imbuvable. Et donc, pour des Le Fur, ce n’est pas encore assez. Combien en veut-il ? 50 millions ? Pour commencer ?
Je vous ai déjà parlé de ce qui se passe aux Etats-Unis avec Smithfield et ses “lagons”. Smithfield a commencé à importer cette ignominie en Pologne. Smithfield a maintenant été racheté par le plus gros producteur de porc chinois (oui oui, chinois !) Shuanghui. L’ensemble du groupe trucide annuellement plusieurs dizaines de millions de bestiaux. Hallucinant. Et si vous ne connaissez pas cette marque, sachez que vous la trouvez forcément dans votre hypermarché habituel et dans votre télé, dans des pochettes en plastique de charcuterie industrielle bas de gamme et dégueulasse, conservée aux nitrites cancérigènes : Justin Bridou, Cochonou, Jean Caby, Calixte, Aoste et Weight Watchers, c’est eux. Beurk.
Marc le Fur a été élu pour représenter les Bretons. Au lieu de ça, il représente l’industrie agroalimentaire dans ce qu’elle a de plus répugnant. Il veut transformer la Bretagne en une gigantesque flaque de merde. Lui et ses amis, rassurez-vous, trouveront toujours un coin sympa pour habiter, à l’abri des effluves insupportablement nauséabonds que les gens ordinaires doivent subir. J’imagine d’ailleurs qu’il vit plutôt dans un appartement cossu des beaux quartiers de Paris.
Si les bonnets rouges sont les idiots utiles de Le Fur et des gens qui ravagent au quotidien la Bretagne (et de temps en temps des portiques écotaxe ou des grilles de sous-préfecture), comment peut-on, même en étant bretons et malheureux, se sentir solidaires de ces gens et de leurs actions ?
Il existe un logo commercial (un phare dans un cercle jaune) que vous avez peut-être vu même si vous habitez loin de la Bretagne : “Produit en Bretagne”. Il m’arrivait d’acheter des produits affublés de ce logo, essentiellement par chauvinisme déplacé. A chacun ses faiblesses. Mais c’est fini. J’ai entendu son président, Jakez Bernard, et son directeur, Malo Bouessel du Bourg, soutenir les “bonnets rouges”. Ils sont plutôt dans la culture que dans l’agriculture, mais ils sont solidaires. On peut donc considérer que “Produit en Bretagne” essaie de faire passer pour des produits de qualité de la sous-merde issue de l’industrie agroalimentaire productiviste. Ce qui est indéfendable.
A noter que l’actuel ministre de la défense Le Drian, qui brame à qui veut l’entendre son amour de la Bretagne, avait naguère porté plainte contre l’association “France Nature Environnement”. Caricature de ces notables polycumulards qui pourrissent la politique française, il était alors entre autres président du Conseil Régional de Bretagne. Et FNE, pourtant loin d’être un nid d’extrémistes, avait osé publier une affiche dans le métro parisien où l’on voyait des enfants barboter dans les algues vertes. Plutôt que de lutter contre les pollueurs. Pour Le Drian, les coupables de la dévalorisation de la Bretagne sont donc les écolos, pas les pollueurs productivistes. Un aveuglement hallucinant :
« Nombre de Bretons, au premier rang desquels les professions agricoles, mais pas seulement, sont aujourd’hui choqués et meurtris par cette campagne caricaturale qui nie leur engagement déterminé pour un environnement durable et sain »
Voilà pour Le Fur et ses cochons de productivistes.

Un autre aspect de cette affaire, peut-être encore plus intéressant, est le fameux PPP (partenariat public privé) signé entre une société capitaliste italienne et des politiciens français, dont la plupart ont subitement et récemment été frappés d’amnésie.
Encore une fois, je vais me tresser des lauriers, car sans rien savoir sur cette affaire, mon intuition a bien été la bonne. Comme Mediapart l’a révélé, tout dans ce contrat est scandaleux, que ce soit dans son principe même ou dans la débauche technologique qu’il met en œuvre.
Quoi qu’on dise, tous les signataires politiques de ce contrat sont des pontes de l’UMP. J’espère qu’ils seront jugés. Honte à eux, honte à ce parti de nuisibles qui a déjà fait tant de mal à la France.
J’ai écouté attentivement l’une des coupables, NKM, sur France Inter l’autre matin (les équipes techniques terminent tout juste la réparation du parquet rayé par ses déplacements). Au lendemain de la révélation par Médiapart du contenu du contrat Ecomouv et de l’identité des signataires, elle qui était venue parler de son programme pour Paris (qui comme tout programme de campagne électorale, ne débouchera sur rien) était donc en quelque sorte sur le banc des accusés. Hargneuse. D’autant que la rivale que la presse lui a désignée, Anne Hidalgo, en avait profité pour enfoncer. Au passage, cela repose la question de la démocratie lorsque des mois avant le vote, on sait déjà que le maire de Paris sera o-bli-ga-toi-re-ment, quoi qu’on vote, Hidalgo ou NKM, simplement parce qu’à elles deux elles ont mille fois plus de couverture médiatique que tous les autres réunis. Bref.
NKM se fout de Paris et des Parisiens : elle ne considère la mairie que comme un tremplin vers l’Elysée, seul poste à ses yeux digne d’elle.
NKM est intelligente. Très. Elle n’a donc même pas l’excuse dont nombre de ses collègues peuvent se prévaloir, à savoir d’être trop cons pour comprendre ce qu’on leur fait dire ou signer. Non, ce qu’elle a approuvé, non seulement elle l’a compris, mais c’est parfaitement dans sa ligne : l’argent gagné par les entreprises privées est la chose la plus importante au monde. Tout argent gagné par le privé sur le dos du public est une victoire idéologique. Elle n’a même pas cherché à nier sa responsabilité, préférant tenter de mouiller sa rivale Hidalgo dans la même affaire.
Cela dit, elle a soulevé des objections tout à fait valables. Une simple taxe sur le carburant, comme j’avais suggéré dans mon précédent billet, se heurte à un détail pratique : les camions, en plus d’être conduits par des chauffeurs de plus en plus roumains, de moins en moins payés et de plus en plus exploités, embarquent des réservoirs de plus en plus gros : 1000 litres ou plus. Avec une consommation de 30 à 40 litres/100km, ils peuvent effectivement traverser la France sans y ravitailler.
Est-ce une raison pour abdiquer et se rendre à la logique capitaliste technoscientiste qui commande de mettre en œuvre un barnum informatisé délirant et hors de prix, dans le seul intérêt d’un groupe privé, étranger de surcroît?
Une chose est sûre, même si ce n’est pas simple, même s’il n’y a pas de solution idéale, on aurait pu réfléchir un minimum.
Tiens, la solution suisse : la vignette. Tout poids lourd circulant sur le territoire français devra s’acquitter d’une vignette écotaxe annuelle, indépendante du kilométrage parcouru. Il ne doit pas être très difficile de fixer son montant en fonction du gain financier annuel attendu, par exemple un milliard d’euros. On pourrait même en faire de plusieurs couleurs (locale, nationale, internationale…), et en moduler le prix en fonction de la taille du camion. Coût de mise en œuvre : insignifiant. Contrôles par la maréchaussée ou les gabelous, au même titre que les contrôles “normaux”. Rendement pour l’Etat : maximal.
Et même si des régions peuvent se sentir défavorisées par leur situation (comme la Bretagne), il serait possible de faire des péréquations entre régions.
Il est assez jouissif de voir que Copé et sa clique, ou encore Xavier Bertrand (qui, ne riez pas, a décidé d’être candidat en 2017 et attend son heure), qui ont réalisé que ce sont principalement Fillon et ses sbires (Pécresse, Baroin…) qui vont être éclaboussés dans le scandale (évidemment, ce sont eux qui étaient au gouvernement et qui signaient…) ont vu une lumière perfide (en même temps, “Copé”, “perfide”, scusez le pléonasme) illuminer leur regard et immédiatement décelé un potentiel électoraliste à cette bouffonnerie : ils se désolidarisent hypocritement (oui, je sais, “Bertrand”, “hypocrite”….) de leurs “camarades”. Alors que bien évidemment, l’ultralibéral Copé et l’ami des zentrepreneurs Bertrand auraient signé le truc des deux mains. Tout comme l’auraient fait les “socialistes”, il n’y a qu’à voir la triste et lamentable affaire de Notre-Dame-des-Landes.
Le problème il est toujours là : nous élisons des gens pour nous représenter ou défendre nos intérêts, et sitôt élus la plupart d’entre eux se comportent au contraire comme de gros enfoirés qui touchent de gros salaires (sinon de grosses commissions sur des comptes offshore) pour aller bouffer avec des lobbyistes et pondre des lois dans l’intérêt de ces lobbies, souvent même dictées par eux et qui sont totalement contraires à nos intérêts.
Comment des gens comme Sarkozy, Fillon, Borloo, NKM, Pécresse, Baroin, Mariani… ont-ils pu signer un contrat de plus de 1000 pages, rédigé par une armée d’avocats spécialisés, et qui contenait sans doute des centaines de clauses entubatoires, alors qu’il n’y avait même pas besoin de lire la première pour voir que tout était foireux ? Ultime bizarrerie, la signature finale a eu lieu le dimanche du second tour de la présidentielle de 2012… Ces gens sont soit des neuneus, soit des jobastres, soit des corrompus. Et l’un n’exclut pas l’autre. Que ces gens, tous à l’UMP, veuillent foutre Hollandréou dehors, c’est humain. Mais qu’ils osent se poser en recours, compte tenu de leur bilan apocalyptique (1 million de chômeurs et 600 milliards de dette supplémentaires) et de ce qu’on découvre ici, c’est tout simplement indécent.
Au début des années 2000, certains financiers avaient réussi à convaincre leurs semblables qu’il fallait écouter les écolos. Non pas qu’ils fussent écolos eux-mêmes, faut pas déconner, non plus. Mais ils avaient cyniquement réalisé que laisser l’environnement se dégrader inexorablement, et notamment le climat se réchauffer, allait coûter beaucoup plus cher que les mesures à prendre pour éviter l’apocalypse. D’où la prise de conscience du réchauffement climatique, la gloire éphémère du loser Al Gore, l’omniprésence de l’hélicologiste Hulot, et le cinéma de Sarkozy qui allait déboucher sur la comédie du “Grenelle de l’Environnement”, dont on se demande bien quelques années plus tard ce qu’il en est resté. Les sommets environnementaux se succèdent, avec leurs lots de déclarations la main sur le cœur, mais sans lendemain.
Pour le reste, c’est “business as usual”. Les politiciens font mine de se disputer sur les moyens de “favoriser le retour de la croissance”. Les uns, les libéraux, pensent qu’il suffit de laisser les riches devenir plus riches, de supprimer les impôts, les “charges”, les règlements et les fonctionnaires, pour que, de toute évidence, le monde aille mieux. Si ce n’était pas aussi dramatique, cela prêterait à sourire. Pourtant, c’est bien le courant de pensée qui a le vent en poupe.
Les autres, ce qu’on appelle “la gauche”, en sont restés aux schémas en vigueur dans les années 1950-60, pensant que de bons salaires, de bonnes retraites, de bonnes allocations, allaient pousser les gens à “consommer”, et à entraîner mécaniquement la production de bagnoles, de béton, d’électricité : la “croissance”.
Tous se trompent. Ça fait des années que je le hurle, ici et ailleurs : la seule solution possible, c’est la sortie de cette logique. Appelez ça comme vous le voulez, décroissance, objection de croissance, l’essentiel est d’arrêter ce cirque mortifère.
Appliqué à l’agriculture Bretonne, on commence par mettre un grand coup de pied au cul de Le Fur et de ses amis productivistes, et on remplace les subventions précédemment accordées pour produire de la merde en subventions à l’installation ou à la conversion en bio.
On applique les préceptes de base de l’écologie la plus élémentaire : réduire les distances. Nourrir des porcs bretons avec du soja OGM argentin ou brésilien avant de l’envoyer se faire trucider par des Bulgares en Allemagne est un non-sens, une aberration. Qui ne peut comprendre ça ? Surtout qu’au final, ça enrichit Monsanto, ça enrichit les patrons d’hypermarchés, mais ça émet des quantités phénoménales de CO2, ça fait des produits de merde qui empoisonnent les consommateurs et ça fait crever les paysans.
Et le principe d’une écotaxe, enfin, d’une vraie, c’est ça. Renchérir le prix artificiellement bas du transport, notamment routier, pour éviter les aberrations. J’ai déjà raconté l’histoire de cet éleveur de cochons de la région de Saint-Etienne, qui préférait envoyer ses jambons se faire découper en Pologne, car le camion ne lui coûtait que 900 euros. Qu’il récupérait largement sur la main d’œuvre. Une vraie écotaxe rendrait cette stupide opération non-rentable. L’écotaxe, c’est l’amie des circuits courts, de la consommation de produits locaux, de la relocalisation de l’industrie. L’amie des Bretons sans bonnets rouges.
Parlons un peu des subventions. Si l’abattoir Tilly-Sabco de Guerlesquin est dans la mouise, c’est que les subventions publiques dont il vivait vont s’arrêter.
Oui oui, des subventions publiques. Qui s’ajoutent à tous les cadeaux patronaux des 30 dernières années (baisses de “charges”, baisses d’impôts…). On parle bien d’une société privée à but très lucratif. Son patron, Daniel Sauvaget, qui figurait parmi les racailles à bonnet rouge qui ont défoncé la grille de la sous-préfecture de Morlaix (dont nous allons devoir payer le remplacement), est même l’unique actionnaire de la boîte. Je serais curieux de connaître son patrimoine et son train de vie. Mais si on se place d’un point de vue capitaliste, son business n’est tout simplement pas rentable.
Dans ma jeunesse, mes parents m’envoyaient faire les courses, et s’il y avait un poulet dans la liste, j’avais systématiquement droit à la recommandation : “pas du Tilly, hein ?”. Tilly était déjà synonyme de sous-produit dégénéré. Le poulet flasque, insipide, qui se déchire tout seul. Qui a eu une non-existence épouvantable de moins de 40 jours. Ou plutôt de 40 nuits, car il ne verra le jour que pour aller à l’abattoir. Qui a été nourri de saletés destinées à le faire grossir le plus vite possible, farcies aux antibiotiques indispensables pour éviter les épidémies dans cet enfer de promiscuité. Ce poulet qu’on voit désormais partout, et qu’ils osent appeler “standard”. Il est notamment un habitué des cantines scolaires, où la moitié de la portion reste sur l’assiette des mômes et part à la poubelle.
Tilly s’est spécialisé dans l’exportation subventionnée de poulets de merde vers l’Arabie Saoudite. Mais attention, avec chaîne d’abattage tournée vers la Mecque. Le cynisme de ces mecs égale celui des banquiers luxembourgeois qui se sont lancés dans la “finance islamique”.
On se rappellera aussi comment les subventions occidentales ont littéralement fait crever de faim les paysans africains, concurrencés sur leurs propres marchés par des produits européens ou américains, moins chers…
Et c’est ce business que nous subventionnons. Vous avez envie de continuer de raquer pour ça ? Moi pas. Qu’on foute le patron incapable et cupide à la porte (il a certainement gagné assez de pognon pour prendre sa retraite), et qu’on utilise l’argent public pour reconvertir l’activité, pour donner aux salariés un travail digne, aux poulets une existence décente et un peu plus longue, et au consommateur un produit de meilleure qualité, même s’ils doit le payer plus cher. Il en mangera moins souvent, ça ne lui reviendra pas plus cher et ce sera meilleur pour sa santé.
Les guignols de l’UMP ou du FHaine sont les premiers à brailler que la prise en charge des familles roms nous coûte une fortune, par contre ça ne les dérange manifestement pas de nous faire payer une partie du poulet des Saoudiens…
Le bio était une promesse du “Grenelle”. Pourtant aujourd’hui, les paysans bio ont toujours autant de mal à trouver des terres, et sont toujours autant méprisés des productivistes de la FNSEA. Les produits bio sont toujours aussi rares, et la plupart viennent de l’étranger, pour être vendus à prix prohibitif à des bobos friqués. Dans ce domaine, tout est à faire. Nous pouvons passer en tout bio, et la Bretagne, soutenue par des subventions cette fois utilisées intelligemment, peut en devenir le fer de lance. A production égale, le bio emploie plus de paysans. Et les paysans bio sont en général, et pas seulement en Bretagne, contents de leur sort, et fiers de leur métier. [EDIT 11/11/2013 : un article de rue89 sur un éleveur de cochons bio… Parfaite illustration de ce billet !] Il y a tant à expérimenter, la permaculture de Rabhi, la biodynamie des Bourguignon… Tout ce qui fait rigoler les productivistes, qui préfèrent vivre de chimie et de subventions.
Non, les bonnets rouges ne représentent pas les Bretons. Ils n’en sont que la frange la plus à droite, la plus violente, la plus imperméable à toute forme de réflexion. L’agriculture pourrie qu’ils défendent appartient au passé. Les Bretons n’en veulent plus.
En ce qui me concerne, j’en ai même honte.

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