mercredi 29 juin 2011

Payer pour vieillir (avant de mourir)



Bernard GENSANE
On l’a dit et répété : être maître des mots, c’est tenir le monde dans sa main. Comme de nombreux concepts qui nous pourrissent aujourd’hui la vie, celui de "dépendance", tel que Sarkozy et le classe dirigeante française l’affectionnent, vient de l’anglais. « A dependant » est une personne à charge. Cette acception date de la fin du XVIe siècle. On ne parle plus des vieux (années cinquante), des croulants (années soixante), des seniors (années quatre-vingt), mais des dépendants.





Attention : ce terme est un SCUD. Tiré par la grande bourgeoisie européenne dans une attaque concertée contre les peuples dans le cadre d’expériences locales à visées continentales. Naomi Klein nous a remarquablement expliqué dans La stratégie du choc ; le capitalisme du désastre (http://www.legrandsoir.info/Naomi-Klein-La-strategie-du-choc...) l’utilisation par la classe dominante de la sidération, de la technique du coup de massue pour tuer un papillon afin d’imposer dans l’angoisse des mesures au seul profit de l’actionnariat et de la finance internationale. Depuis des années, le Royaume-Uni sert de laboratoire en vue de la privatisation totale des universités, l’enseignement supérieur étant devenu une annexe du ministère du Commerce. La Grèce sert de laboratoire pour la privatisation brutale de l’État.
Les instances européennes ont chargé la France du dossier de la dépendance (http://www.legrandsoir.info/La-dependance-selon-Sarkozy-paye...). Il n’y avait aucune urgence à cela, ni démographique, ni même comptable (la seule urgence étant d’enrichir le frère et les amis de Notre Président : Malakoff-Médéric). Le rôle des relais idéologiques de notre kleiner Mann est de nous persuader de la légitimité et de l’urgence de transférer vers le privé tout ce qui relève de la protection sociale publique. Un exemple récent : Le Monde a publié un encart publicitaire pleine page de l’association d’extrême droite Sauvegarde Retraites (http://www.sauvegarde-retraites.org/). L’objectif principal de cette association est de tirer à boulets rouges et sans relâche sur les retraités « privilégiés » de la Fonction publique française, quand elle ne félicite pas Obama pour avoir suspendu l’alimentation des caisses de retraite de ses propres civil servants.
Comme l’expriment les indignados espagnols, on nous pisse dessus, puis on dit qu’il pleut. On privatise la Poste, on diminue de manière drastique le nombre de fonctionnaires de cette ancienne administration, et l’on “découvre” qu’il manque huit millions d’euros pour payer les retraites des postiers. Donc qu’il faut faire appel au privé. Autre exemple : jusqu’à tout récemment, la taxe sur les poids lourds était perçue par les douaniers. Sarkozy vient de décider, en réinventant les fermiers généraux, qu’elle serait perçue par une société privée. Il va donc supprimer des postes de douaniers, ce qui obérera leur caisse de retraite.
On bourre le crâne des Français avec l’antienne mensongère des caisses vides et de l’armée de centenaires voraces et increvables, tueuse du bien-être de nos enfants. Comme pour la RGPP et la "réforme" des services de santé, l’idéologie à l’œuvre est la fin de la solidarité, nécessaire à l’épanouissement des opérateurs privés. Souvenons-nous de la pitoyable prestation de Jean Rochefort pour Amaguiz (http://bernard-gensane.over-blog.com/article-jean-rochefort-...). Ce qu’impliquait cette pub, c’était bel et bien la fin d’une collectivité solidaire dans la souffrance. Je veux une assurance pour les cors aux pieds, rien de plus car, pour le reste, je pète la forme. Pensons également au slogan récent « Les oreilles n’ont pas de lunettes » : je paie pour ma myopie et mort aux sourds. C’est pourquoi l’on voit désormais de jeunes salariés (y compris des enseignants) refusant de payer pour les enfants qu’ils n’ont pas (encore).
L’idéologie dominante nous présente désormais le gain d’espérance de vie comme une catastrophe dont le seul remède serait la prise en charge uniquement par les intéressés et leurs familles et le désengagement de l’État.
Le rapport parlementaire Rosso-Debord s’est donc attaqué à la prise en charge de la perte d’autonomie. Ce texte préconise trois "réformes" d’importance :
- l’exclusion du champ de l’Aide Personnalisée à l’Autonomie (APA) de 44% des bénéficiaires actuels, c’est-à-dire des personnes qui ne sont relativement autonomes qu’à l’intérieur de leur logement. L’APA provient du tristement célèbre Lundi de Pentecôte et de la contribution des départements.
- le recours sur succession à partir de 100000 euros de patrimoine (un petit appartement), ce qui réduit l’APA à un simple prêt pour une grande majorité des bénéficiaires.
- La souscription d’une assurance dépendance obligatoire à partir de 50 ans (ce qui est en contradiction avec la logique du discours de la "réforme" des retraites selon lequel, à 60 ans, on est encore un jeunot qui a de belles années de travail devant lui). N’en déplaise à Charlotte Rampling qui a prêté (vendu) son concours à une publicité pour Allianz, les assureurs privés exigent un délai de carence d’un an au minimum durant lequel ils n’interviennent pas quand l’assuré devient dépendant (et a peut-être la bonne idée de passer l’arme à gauche).
En refusant d’aider les moins atteintes des personnes âgées, la classe dirigeante sera responsable de l’aggravation de leur état de santé. Les économies seront donc à très court terme, mais pas la souffrance physique et mentale des intéressés. La classe dirigeante établit par ailleurs que la dépendance n’est qu’un problème lié à l’âge dont les personnes âgées doivent seules supporter le coût. Il faut garder à l’esprit que le handicap et la perte d’autonomie, comme la maladie peuvent frapper à n’importe quel âge. Leur prise en charge doit rester à la charge de la solidarité nationale dans le cadre de la Sécurité sociale. Il faut noter que la rente assurancielle privée actuellement prévue est de 1000 euros par mois maximum en cas de dépendance totale contre 1224 euros pour l’APA qui, de plus, offre une aide personnalisée, même en cas d’autonomie partielle.
La perte d’autonomie coûte 25,7 milliards d’euros, la Sécurité sociale maladie 15,6 milliards, les aides publiques sont de 10,1 milliards. Reste à la charge des malades environ 8,4 milliards d’euros. Au lieu d’être apportée par la solidarité nationale, la moitié des 10 milliards d’aides publiques vient des départements, donc des impôts locaux (qui ne sont pas justes), ce qui instaure l’inégalité entre départements riches ou pauvres.
Pour l’instant, le gouvernement a reculé sur la suppression de l’aide aux moins atteints et sur l’obligation d’une assurance privée. Il est resté sur ses positions quant au recours sur succession et à l’alignement de la CSG des retraités sur celle des actifs (au nom de l’équité, bien sûr). Plusieurs personnalités de droite ont proposé un deuxième lundi de Pentecôte (assuré, comme le premier, par les salariés uniquement). Pourquoi s’arrêter en si bon chemin : au temps de seigneurs, les serfs donnaient un jour sur dix à leur bon maître. Cela s’appelait la corvée, que les révolutionnaires ont abolie le 4 août 1789.
En 2009, les assurances privées chères à Rochefort et Rampling ont gagné 275,4 millions d’euros grâce à la dépendance. Un début prometteur. Ces compagnies sont actuellement à la tête d’un magot de 3 milliards d’euros qui ont échappé en toute légalité à la solidarité nationale.
Pour terminer, deux chiffres qui n’ont rien à voir, mais tout se tient : en 2009, les niches fiscales ont représenté 50 milliards d’euros, et l’évasion du même nom 75 milliards.
Bernard Gensane
Note réalisée à l’aide de travaux de la FSU et de la CGT
http://bernard-gensane.over-blog.com/

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