samedi 28 janvier 2012

ÇA N’EST PAS L’ÉCOLE QUI FABRIQUE LE CHÔMAGE.

Par le Mouvement politique d’éducation populaire (M’PEP).
Le 27 janvier 2012.
France 2, mercredi 4 janvier 2012, journal de 20 heures. David Pujadas : « Voici, sans aucun doute, l’une des racines du chômage structurel qui handicape la France : l’échec scolaire et ses 2 à 300 000 élèves qui sortent du système scolaire sans diplôme. »
Est-il bien vrai que les causes structurelles du chômage ont un rapport avec le niveau de qualification de la population ? Le rôle premier de l’école est-il de fabriquer des personnes employables ? L’exclusion fabriquée par le système scolaire français n’est-il pas pour partie le résultat de son pilonnage par les politiques libérales et par l’idéologie libérale ?

 Le « chômage des jeunes » : un arbre médiatique pour cacher la forêt du réel

Les libéraux et leurs médias répètent à l’envi qu’il y a un problème de « chômage des jeunes », de « chômage des seniors », de « chômage des personnes handicapées », etc. Pour monsieur Sarkozy, pour monsieur Hollande et pour l’ensemble des libéraux, la cause du chômage chez les jeunes serait l’inadaptation du système scolaire au marché de l’emploi. Pour le chômage des « seniors », la faute s’en trouverait dans le coût de l’embauche (c’est-à-dire le coût du travail). Ce discours vise à faire diversion sur les causes réelles du chômage en tant que phénomène structurel et donc sur les remèdes à y apporter. En trouvant des boucs émissaires, ils tentent :
  • de porter de nouveaux coups à la République à travers son école et le code du travail des salariés.
  • de faire oublier 40 ans de chômage structurel de masse.
  • de taire le fait que le chômage est inscrit dans la stratégie patronale pour re-discipliner un salariat qui était de plus en plus organisé depuis la fin du XIXe siècle.
  • de ne pas dire que le chômage est lié à la mise en place d’une monnaie forte (l’euro) qui a pour but de préserver le capital des plus riches de toute baisse provoquée par l’inflation.
  • de présenter le chômage comme un phénomène apolitique, alors qu’il est le produit du « marché de l’emploi » spécifique à la société capitaliste, qui, comme son nom l’indique, rabaisse le travail humain au rang d’une vulgaire marchandise.
Quels que soient les chiffres du chômage dans notre pays depuis quarante ans, la part des 25 ans et des plus de 50 ans parmi les chômeurs a toujours été plus importante pour une raison qui tient à l’essence même du « marché du travail » : une logique de concurrence. Les jeunes qui arrivent sur ce marché ont moins d’expérience à faire valoir que les demandeurs d’emploi qui ont un CV mieux garni. Quant aux plus anciens, ils coûtent plus cher et sont moins malléables. Dans la même logique de concurrence, les femmes et les personnes handicapées, jugées moins productives, connaissent un chômage plus fort.
Si le chômage était résiduel, un discours visant à faire baisser le chômage des plus jeunes s’entendrait parfaitement. Dans la situation d’un chômage structurel de masse, cela n’a pas le même sens. Le chômage affecte l’ensemble de la société, l’ensemble du monde du travail. Il affecte même indirectement les gens qui ont un emploi. C’est donc au chômage dans son ensemble et à ses causes qu’il faut s’attaquer. Le M’PEP propose une stratégie pour mettre fin au chômage en un seul mandat et propose que le droit à l’emploi devienne un droit opposable car c’est un droit constitutionnel. Lire à ce sujet :
http://www.m-pep.org/spip.php?article1035
Il y a en réalité une surqualification des demandeurs d’emploi
Selon certaines sources le niveau de connaissance d’un bachelier d’aujourd’hui serait comparable à celui d’un ingénieur de 1950. Le niveau général de connaissance et de qualification de l’ensemble de la population scolaire aurait considérablement augmenté depuis l’après-guerre, avec des nuances en fonction des domaines. Et c’est globalement une des grandes réussites du système scolaire. Le niveau des besoins en qualification des entreprises a suivi une courbe bien moins pentue. A tel point que de très nombreuses personnes en France sont sous-employées par rapport à leur niveau de qualification. Le décrochage scolaire ne signifie donc pas que ceux qui sortent sans qualification ont un niveau de connaissance et de compétence égal à zéro. Cela signifie qu’ils n’ont pas atteint le niveau de qualification qui leur permet de faire jeu égal avec les autres dans la compétition pour l’emploi.
Cette compétition bénéficie grandement aux employeurs qui peuvent embaucher pour le même salaire sur un poste donné une personne sans qualification ou une personne qualifiée. Ils peuvent mettre en concurrence les niveaux de qualification et tirer le coût du travail vers le bas. Dans la situation de chômage de masse que nous connaissons depuis 40 ans, les diplômes ne garantissent plus l’accès à l’emploi, ce qui aggrave la situation de ceux qui n’en n’ont pas. La compétition mondialisée des économies sert de justification à cet immense gâchis.
Au total, la mise en concurrence des travailleurs européens entre eux et avec le reste du monde provoque l’augmentation du chômage. En effet, les entreprises embauchent là où les salaires sont les moins élevés.

 Y a t-il une inadaptation des qualifications par rapport au marché de l’emploi ?

On entend dire régulièrement que certains secteurs du marché du travail ne trouvent pas assez de personnes à employer et qu’il y aurait donc un décalage problématique entre la formation scolaire et les besoins des entreprises. Cet argument est avancé par le patronat pour développer une dépendance toujours plus grande des salariés vis-à-vis du monde de l’entreprise. On a même vu une régionalisation de certains diplômes pour coller aux besoins de grandes entreprises locales. L’idéal pour le patronat serait que l’entreprise assure une formation et une qualification internes, spécifique à un poste, mais que le coût en soit assumé par la collectivité. C’est bien sûr l’exact contraire qu’il faut défendre au nom d’une école républicaine : une qualification qui assure à toute personne une grande autonomie et une haute polyvalence. Quant à l’adaptation au poste, le coût doit rester entièrement à la charge de l’entreprise.
Il est exact que certaines filières de formations manquent de candidats. Mais ce phénomène est à la marge et n’est pas significatif parmi les causes du chômage. Dans ce cas, il faut interroger le niveau des salaires et les conditions de travail. Certains métiers, dont celui d’ouvrier, ont été volontairement dévalorisés par l’idéologie libérale pour effacer la culture ouvrière (et ses valeurs) de l’imaginaire collectif. Rien d’étonnant par conséquent que les jeunes d’aujourd’hui méprisent parfois certains corps de métiers ou en ignorent même l’existence.

 L’élitisme du système éducatif

Le « décrochage scolaire », c’est-à-dire la sortie du système scolaire sans qualification, trouve sa source dans les causes générales de l’échec scolaire. Le premier facteur de l’échec scolaire est l’origine sociale des élèves. Cela a toujours été le cas pour la raison que l’école n’a jamais eu pour objectif, contrairement à ce qu’on lit et à ce qu’on entend très fréquemment, de permettre « l’ascension sociale » des personnes. Seuls 1% des enfants d’ouvriers accèdent aux grandes écoles depuis l’après-guerre. Et une quantité négligeable de ces 1% en sortent diplômés (la plupart ne parviennent pas au terme du cursus).
L’école française a toujours été élitiste. C’est d’ailleurs dans sa capacité à faire émerger des élites qu’elle est la plus réputée. La reproduction sociale des élites et de la pyramide sociale par l’école est une constante du système scolaire. Dans un système élitiste, il ne peut pas y avoir un égal accès aux diplômes ! Pour mettre fin à l’échec scolaire, il faut sortir des logiques élitistes – ce qui n’empêcherait aucunement la sélection par la qualification.
« L’égalité républicaine ne peut exister dans un pays où les lois civiles, les lois de finance, les lois de commerce rendent possible la longue durée des grandes fortunes. » Condorcet, 1787.

 Le productivisme appliqué de manière croissante à l’enseignement

On ne peut que s’inquiéter de l’augmentation du nombre d’élèves en échec scolaire, même si les chiffres existants se contredisent. Cependant, ce phénomène semble assez probable, pour la raison qu’il y a une aggravation de la compétition dans l’accès aux qualifications liée à l’aggravation de la compétition dans l’accès à l’emploi. Plus l’accès à l’emploi est difficile, plus l’école se comporte de manière sélective si elle est dans une recherche d’adaptation aux besoins du patronat. Or, c’est bien dans ce sens que se font les réformes successives.
  • Le principe des « niveaux de compétences » se substitue peu à peu au principe des diplômes et de métier. D’où ce concept provient-il ? Les grandes entreprises capitalistes ont besoin d’un personnel facilement mobile et interchangeable au sein de l’Union européenne. On sait déjà que la dérégulation inscrite dans les traités de libre-échange met les travailleurs européens en concurrence les uns avec les autres, et par conséquent, font augmenter le chômage et tirent les droits sociaux vers le bas. Mais il reste que les diplômes nationaux freinent cette mise en concurrence internationale en raison de leur imparfaite équivalence. Le principe de « validation de niveaux de compétences » harmonisés à l’échelle européenne est le résultat du travail de lobbying des grandes entreprises européennes en direction de la commission européenne chargée des systèmes scolaires nationaux (longtemps présidée par la socialiste Édith Cresson).
  • Le « recentrage sur les fondamentaux », c’est-à-dire dans la conception élitiste des libéraux, les mathématiques et le français. Un bachotage permanent complété par un infernal dispositif d’évaluation des élèves, survalorise la performance personnelle. Les conséquences en sont à la fois une baisse de l’enseignement des connaissances générales et la disparition de toute référence au plaisir d’apprendre. Tels sont les effets du remplacement d’une vraie pédagogie par les préceptes productivistes. Une conception des finalités de l’enseignement et de la scolarité calquée sur celle du travail, avec les mêmes conséquences : une recherche de la productivité conduisant à l’explosion des maladies « professionnelles » (dans le cas de l’école : les « dys » - dyslexie, dyscalculie, dyspraxie, dysorthographie, etc.), symptômes de l’inadaptation au système. La réforme réactionnaire du système psychiatrique en cours dans le cadre européen (enfermement autoritaire et isolement des patients) est la réponse du système libéral aux destructions psychiques provoquées dans la population par la recherche sans fin de plus de productivité. Des expérimentations sont d’ailleurs en cours dans les écoles, à la demande des institutions européennes, pour détecter dès la petite enfance les signes de l’inadaptation et leur traitement par la psychiatrie. Tel se présente le dangereux mouvement pour la médicalisation de la difficulté scolaire.
  • « L’assouplissement » de la carte scolaire, s’inscrit dans une logique de concurrence généralisée basée sur les résultats : concurrence des établissements, des enseignants et des élèves.

 Le changement des missions du système scolaire se fait dans une optique antirépublicaine

Bien qu’élitiste, le système scolaire républicain avait historiquement une mission émancipatrice : donner aux individus les moyens intellectuels de comprendre le monde dans lequel ils vivent, leur permettre de s’insérer dans ce monde et disposer d’outils conceptuels pour intervenir sur ce monde. Même si cette perspective était loin d’être parfaitement réalisée, les libéraux n’ont eu de cesse de la remplacer par la fabrication de futurs salariés dociles et adaptés aux besoins de la sphère productiviste-marchande. Ainsi, les changements successifs des programmes scolaires ont introduit des principes antirépublicains :
  • la notion de minimum scolaire (« socle commun ») visant prioritairement les élèves des milieux défavorisés a été développée dans le même temps que les moyens de l’aide (en personnel qualifié) aux élèves étaient dramatiquement réduits, traduisant un renoncement radical d’avec une école égalitaire ;
  • l’enseignement obligatoire de l’anglais et de la culture anglo-saxonne dès les petites classes, en lieu et place d’une initiation à la diversité des langues vivantes et à l’ouverture sur le monde. L’anglais est la langue utilisée par le système économique marchand dans une optique colonialiste. Aujourd’hui, c’est la langue de la mondialisation libérale, celle des patrons des grandes firmes transnationales. C’est par conséquent celle que les salariés doivent maîtriser pour permettre à l’entreprise de conquérir de nouveaux marchés extérieurs. Celle qu’ils doivent maîtriser pour être « transplantables » d’un pays à l’autre et pour être plus facilement interchangeables. Il y a aujourd’hui plus de mots en anglais sur les murs de Paris qu’il n’y avait de mots en allemand durant l’Occupation.
La vassalisation des enseignants et la caporalisation du pouvoir au sein des établissements. En 1951 le pouvoir politique a mis en place un statut des enseignants dans le but de leur permettre de remplir leur mission laïque et de les protéger des pressions religieuses, politiques et marchandes. Ce statut est régulièrement attaqué, comme l’est l’ensemble des statuts de la fonction publique. L’annonce faite récemment de la mise en place d’une évaluation des enseignants par leur chef d’établissement (en lieu et place d’un personnel spécifique extérieur à l’établissement) est le résultat d’une volonté d’installer un caporalisme en lieu et place de toute forme collégiale de prise de décision ; les hôpitaux et les universités connaissent une semblable dérive.

 L’affaiblissement des principes de service public d’éducation

La suppression massive des moyens affectés à l’école (80 000 postes supprimés depuis 2005) fait augmenter les effectifs dans les classes et amenuise dramatiquement les moyens de l’aide aux enfants rencontrant des difficultés. C’est le résultat du non-remplacement d’un fonctionnaire partant en retraite sur deux inscrits dans la RGPP (révision générale des politiques publiques). Cette loi est une traduction dans le droit national des traités européens visant à l’affaiblissement des services publics au bénéfice des services marchands. Pour preuve, il suffit de voir comment fleurissent les grandes sociétés privées de soutien scolaire et de connaître les lois mises en place ces dernières années pour faire financer les écoles privées par l’argent public.

 La surveillance sociale

L’Éducation nationale a grandement augmenté ses outils de gestion statistique de la population scolaire grâce à l’informatisation. Tous les élèves ont désormais, dès l’âge de trois ans, un matricule qui ne les quittera plus et auquel sont associés des fichiers rassemblant des données toujours plus nombreuses et précises sur leur parcours scolaire. Des fichiers dont la compatibilité avec les logiciels de la police, de la justice, des services sociaux et de certaines grandes entreprises sont avérés. Des fichiers dont la gestion est d’une telle opacité que même les services désormais vassalisés de la CNIL n’ont pas pu faire autrement que de les dénoncer... dans un silence médiatique assourdissant.
Il y a peu de place pour le hasard dans le système médiatique. Vingt-quatre heures après les propos de monsieur Pujadas, Nicolas Sarkozy annonçait son intention de faire travailler davantage les enseignants sans que cela coûte plus cher à l’État, en prétextant l’urgence de l’échec scolaire. Et des réformes du système scolaire pour faire baisser le « chômage des jeunes ». Il faut bien comprendre que dans la logique du système libéral européen, l’école ne sera JAMAIS assez adaptée aux besoins du patronat.
L’école ne doit pas servir à formater un simple travailleur-marchandise. Elle doit former le citoyen complet, cultivé, ouvert sur le monde et aux autres. Ce sont ces citoyens, par leurs exigences issues de leur formation, qui détermineront les biens et services à produire en fonction de l’intérêt général national et international. Ce n’est évidemment pas l’économie marchande, fondée sur la recherche du profit privé maximal à court terme, qui doit indiquer les qualifications dont elle a besoin.

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